08 octobre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (11)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée longitudinale de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche




Samedi 7 novembre (Machu Picchu/Pérou)

De Cuzco, et même d’ailleurs, il n’ y pas 36 façons d’accéder au Machu Picchu, la mythique cité inca découverte par l’archéologue américain Hiram Bingham en 1911.
Il y a le train ou...le train. Celui dit des "Touristes" et l'autre, appelé le "Local" plus lent, certes mais nettement moins cher. C’est ce dernier que nous allons choisir pour cette nouvelle équipée…très touristique.
Encore que.
Sur le quai de la gare d’Ollantaitambo, il y a en effet beaucoup de monde, mais de touristes, à peine une demi-douzaine ! A tel point que nous nous demandons si nous ne nous sommes pas trompés de gare. Le guichetier, celui qui est parvenu a nous refiler deux billets de première classe alors qu’il sait parfaitement que tout est déjà complet, nous confirme pourtant que nous sommes bien sur la bonne voie !

Sans doute découragés par les avertissements alarmistes de la plupart des guides au sujet du « train local » (vols, agressions, etc…) les touristes de ce jour ont-ils préféré une manière plus sécurisante de découvrir le site.
Tant pis pour eux, car ce voyage promet d’être mémorable et surtout résolument « sportif ».
Dès son entrée en gare, le train est déjà largement en surcharge. Un bon nombre de passagers sont d’ailleurs installés sur les marchepieds, agrippés aux mains courantes.
Pénétrer dans le wagon requérra l’énergie d’un rugbyman s’extirpant de la mêlée. Tout est bon pour se faire une place : coup de coudes, coup de tête et surtout…. coup de gueule. Et c’est visiblement celui qui aura la plus grande qui aura la permission de rester debout dans le couloir. Et encore.
Nous ne devrons notre salut qu’à une sorte de petit « miracle ». Coincés jusqu’à présent dans le réduit situé l’arrière du wagon, nous allons basculer inopinément, Marie-Hélène et moi, derrière une porte dont le chambranle ne tenait plus qu’à une vis. Nous nous retrouvons aussitôt projetés dans les toilettes. Le seul endroit du train où personne n’avait encore pensé à s’installer, du moins durablement ! Une fois la planche du W.C. abaissée, nous devenons donc les heureux locataires d’ un siège tout à fait acceptable que nous ne quitterons que dans 4 heures. Exceptions faites des odeurs, nous sommes heureux de la tournure des événements. Nous avons ouvert la fenêtre au maximum et pouvons de surcroît apprécier le paysage. Vu de ce côté, c’est une végétation dense et luxuriante qui défile à portée de nos mains. Une forêt humide qui s’étage à flanc de montagnes dont les sommets s’égarent dans les brumes matinales. De l’autre côté, mais ça, nous ne le voyons pas, il y a un ravin au fond duquel cavale l’Urubamba, une rivière torrentueuse, violente et limoneuse qui, 700 kilomètres plus au nord, se jette dans l’Apurimac, un puissant affluent de l’Amazone.

Il est environ midi lorsque le train s’arrête à la station « Machu Picchu ». Il s’agit en fait d’un petit village dont le nom est Aguascalientes, situé à environ 2 heures de marche de la cité inca. Toute la vie de cette localité semble être concentrée au bordure de la voie ferrée. Les marchands de fruits, de légumes et de volailles campent littéralement sur les quais, voire sur les rails qu’ils ne quittent que lorsqu’un convoi apparaît.

Un peu à l’écart et surplombant l’Urubamba, une nuée de petits commerces et de pensions s’agrippent autant que possible aux ruelles pentues et boueuses. Aux terrasses des cafés et des restos on peut entendre, dans toutes les langues, les routards commenter leurs aventures aux nouveaux arrivants pressés d’ en découdre avec la « vieille montagne » (Le Machu Picchu en quechua)

Dimanche 8 novembre

Il est 6 heures du matin.
Au creux de cette étroite vallée où se niche Aguascalientes, la lumière est encore bien blafarde.
Notre petit-déjeuner englouti (de bourratives crêpes à la bananes -panqueque de platanos-), nous dévalons les ruelles encore désertes et retrouvons, face à la gare, Nigel et Richard, deux jeunes Londoniens rencontrés la veille. Nous nous sommes mis d’accord pour faire la route ensemble jusqu’au Machu Picchu et tenter d’y arriver avant le flux des touristes.
La première demi-heure de marche est facile puisqu’il suffit de longer la voie ferrée.
Une fois passé le pont métallique enjambant la rivière, à hauteur du lieu-dit Puente Ruinas, Nigel suggère que nous empruntions un raccourci à travers la montagne. Son guide indique formellement que cela permet de gagner un temps précieux par rapport à la route habituelle.

Très vite, le chemin se révèle infernal. Abrupt et glissant dès le début, il se transformera, au bout d’un quart d’heure de progression, en un véritable parcours d’obstacles. Certains tronçons nécessitent des capacités d’alpinistes et d’autres auraient mérité que nous ayons des machettes. La végétation est luxuriante, les troncs d’arbres en putréfaction barrent par moment le chemin et les lianes arborescentes constituent autant de rideaux végétaux presqu’ impénétrables. Depuis un bon moment déjà, il n’y a plus aucune trace de balisage…mais nous persévérons ! Deux heures plus tard, fourbus, en nage, le visage et les bras couverts d’ écorchures, nous retrouvons, contre toutes attentes, la route « officielle ».
Quelques dizaines de mètres nous séparent encore de l’entrée du site. Curieusement, à cet instant, à cet endroit, rien ne laisse supposer que nous soyons à proximité d’un des plus importants sites archéologiques de l’humanité, et surtout pas cette horrible boutique à souvenirs ou cet hôtel prétentieux dressant sa silhouette incongrue.

Rien d’étonnant à ce que les conquistadores n’aient jamais trouvé, ni même soupçonné l’existence de cette ville fabuleuse. Il faut être le nez dessus pour en prendre en conscience. Même au guichet, à l’ entrée du site, on n’en devine absolument rien : il faut encore contourner une colline par une sente empierrée pour qu’enfin apparaisse dans toute sa démesure la mystérieuse métropole. Mystérieuse de par sa situation -enclavée dans un cirque montagneux difficilement accessible et échappant à tous regards-. Mystérieuse, car aujourd’hui encore les archéologues continuent à échafauder les théories les plus contradictoires quant à la vocation de ce site. Forteresse ?, lieu cérémonial et de sacrifice ? Ultime refuge de l’empereur Manco Capac fuyant l’arrivée des Espagnols ?
Qu’importe, le site impressionne par sa beauté et la douceur de cette architecture « organique » avant la lettre. On imagine l’émotion de l’archéologue qui, le premier, en fit la découverte. L’histoire raconte que lorsque Bingham accéda au site, il y rencontra un couple de cultivateurs qui depuis des décennies l’occupait, et sans peut-être se douter de ce que recelaient ces ruines, continuaient à travailler sur les parcelles en terrasse conçues par leurs fabuleux ancêtres.

A cette heure encore très matinale, il n’y pas encore grand monde dans la cité. Une cinquantaine de touristes tout au plus. On peut encore se perdre dans les rues et les ruelles, les places et les temples sans entendre le brouhaha de la foule, les commentaires des guides et le cliquetis des appareils photos.

Enfin, nous gravissons un promontoire au sommet duquel nous allons rester un long moment. Sans prononcer un mot. Jusqu’à ce que la brume se lève. Jusqu’à ce que soit inondé de lumière l’Intihuatana. Le mégalithe sacré, calendrier solaire surmonté d’une pierre dont les angles indiquent les quatre points cardinaux.

Tout en bas, l’Urubamba continue sa course folle et l’on aperçoit, traversant le pont, les premiers minibus bondés de touristes. Il est temps pour nous de rebrousser chemin…et de quitter ce petit chien qui depuis notre arrivée n’a cessé de nous poursuivre !

Un peu éreintés par l’aller, nous nous offrons le minibus pour redescendre dans la vallée.
Au bout de deux kilomètres à peine, le véhicule tombe en panne.

Retour à pied (par la route, cette fois!) puis baignade dans une petite piscine alimentée par une source d’eau soufrée et merveilleusement chaude.

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