02 octobre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (9)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée longitudinale de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche...


Lundi 2 et mardi 3 novembre (Juliaca/Pérou)

Un camion, un bus, un train. Des heures d’attente et deux nuits éprouvantes. Accéder à Cuzco, décidément, cela se mérite.
Ce lundi, nous reprenons le chemin d’ Arequipa. A bord d’un camion, puis d’un bus dont une partie des sièges, en cours de route, va se détacher. La route est tellement chaotique et les chocs violents que nous décollons littéralement du sol. Ma tête heurte plusieurs fois le plafond du véhicule. Le chauffeur est hilare. Sa radio diffuse une émission humoristique dont nous ne parvenons malheureusement pas à saisir toutes les subtilités.
A Arequipa, nous récupérons le reste de nos bagages laissés à l’hôtel deux jours auparavant et nous dirigeons sans tarder vers la gare routière.
Bien que l’heure soit déjà fort avancée, le marché bat toujours son plein. Nous en traversons les allées encombrées de charrettes à bras, de cageots de fruits, de marchands de tissus, d’une foule de chalands bigarrés et de bonimenteurs beuglants.
Dans la cohue, je perds l’équilibre et heurte un passant lourdement chargé. A l’extrémité de chacun de ses bras se trouve une tête de vache sanguinolente. L’homme les maintient fermement comme s’il s’agissait de valises mais dont les poignées seraient…les orbites de l’animal.
Avant d’ enfourner les bagages dans la soute, nous avons juste le temps d’ acheter deux grands sacs de jute -genre sacs à pommes de terre- dans lesquels nous allons fourrer nos sacs à dos. Il s’agit là d’une astuce parfois efficace permettant de détourner l’attention des voleurs toujours à l’affût de bagages de touristes. L’inconvénient réside dans le fait que, désormais, notre barda ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de tout le monde ici. Nous devrons rester vigilants toute la nuit et vérifier à chaque arrêt qu’ aucun passager n’emporte nos sacs par mégarde.
Le convoi s’ébranle alors que la nuit est déjà tombée.
Le bus a à peine quitté les faubourgs d’Arequipa qu’un barrage le contraint à arrêter. On ne distingue pas grand chose dans l’obscurité. Juste une voix, bien distincte, parvient jusqu’à nous : « Y-a-t-il des étrangers ici ? ». Cinquante index pointent alors dans notre direction : « Sí señor, hay dos alla » (« Oui, il y en a deux là ») en nous désignant.
Je blêmis. J’ai soudain en mémoire l’image de ces deux touristes extraits sans ménagement d’un bus comme le nôtre et abattus, il y a peu, par la guérilla maoïste sous le seul prétexte qu’il étaient occidentaux.
Je voudrais être, en ce moment, une souris, un insecte, n’ importe quoi, quelque chose d’invisible.
J’entends un homme s’approcher mais j’évite jusqu’à l’ultime instant de croiser son regard.
C’est un carabinier. Sa tenue a l’air tout à fait réglementaire. Un képi, un uniforme olivâtre, une arme de service bien rangée dans son étui. Il nous demande de le suivre. « Une simple vérification, dit-il, rassurant ». Nous l’accompagnons jusqu’à son bureau. Un réduit en tôle ondulée à peine plus grand qu’une guérite. Il inspecte nos passeports, nous dévisage à tour de rôle, compare les photos apposées sur les documents et conclu : «¡ Bueno, me parece en orden. Que le vaya bien y mucha suerte ! (« ça me paraît en ordre, que cela aille bien pour vous et bonne chance »).
Nous rentrons dans le bus les jambes flageolantes, prêts à défaillir.

Le reste du trajet (290 km), jusqu’au terminal de Juliaca, se déroulera sans anicroche. Il est cinq heures du matin lorsque nous y arrivons. Il fait un froid de canard. Il est trop tôt pour chercher un hôtel - notre correspondance (un train cette fois) pour Cuzco, ne part que demain- alors nous nous calfeutrons l’un contre l’autre sur un banc de la gare routière en buvant des thés que les marchands ambulants proposent aux abords de la station.
L’ambiance est étrange dans cette petite ville. Il y règne comme un parfum oriental. La musique diffusée par les hauts-parleurs résonne étrangement avec ces complaintes aiguës et aigrelettes où dominent les violons et les clarinettes. Des nuées de pousse-pousse faisant office de taxi complètent enfin cette image aux reflets vaguement asiatiques.
La journée se passera sans événement notable. Si ce n’est que depuis le début de notre voyage, il pleut pour la première fois. Les habituelles averses printanières, nous dit-on.
Pour nous distraire, nous passons l’après-midi au cinéma. Un de ces cinémas, comme autrefois chez nous, avec son parterre, ses 1er et 2e balcons, ses baignoires et tout en haut les pigeonniers. Tout est rempli lorsque nous y entrons. On y fume, on y mange ; on y boit et l’on s’apostrophe. Ca rigole et ça chahute. Jusqu’à ce que le générique du début de séance remette un peu d’ordre dans le chaos. Bien que nous soyons installés près de l’écran, nous ne voyons pas grand chose du film. Les spectatrices, assises devant nous, ont toutes gardé leur chapeau boule.
Le film du jour est un thriller politique hollywoodien fort justement intitulé « Mission dans les Andes » (The hour of the assassin, dans la version américaine) avec en vedette Robert Vaughn et Eric Estrada. Même si le scénario à l’air un peu confus, nous comprenons que l’action est sensée se passer dans un pays imaginaire d’Amérique latine (Le San Pedro) où le nouveau président élu veut instaurer la démocratie. Des militaires corrompus associés à un mouvement radical de gauche ( !) veulent l’en dissuader et pour ce faire, engagent un tueur. C’était évidemment sans compter sur un brillant agent de la CIA (Robert Vaughn) qui déjouera le stratagème et sauvera le président –et la démocratie- in extremis. La particularité de ce film est qu’il a, en grande partie, été tourné à Lima, à Cuzco ainsi qu’à Arequipa dont nous reconnaissons certains quartiers où nous nous promenions encore la veille. Pour la petite histoire, le réalisateur de ce film est un certain Luis Llosa, le neveu du grand écrivain péruvien Mario Vargas Llosa !!!


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ce récit me fait penser à un livre que je suis en train de lire. Un récit d'un long voyage au... Congo, dans les années 80 :
Lieve Joris, "Mon oncle du Congo", Babel.