30 juin, 2007

Voyage à travers "Les saisons" (1)


Un voyage à travers les Saisons et la Basse-Hesbaye

Avant d’entamer un nouveau « carnet de voyages », je voudrais proposer ici, et durant cet été, une série de photos réalisées dans un rayon de 9, 10 kilomètres autour de chez moi. S’il ne fallait trouver qu’un seul lien avec le carnet précédent (Carretera austral), ce serait…ce même vélo qui fut utilisé il y a dix ans pour parcourir la fameuse piste patagone et qui est toujours celui que j’enfourche aujourd’hui pour parcourir quotidiennement cette campagne bassi-mosane que je n’ai de cesse de photographier.
Quant aux poèmes en prose accompagnant ces photos, ils sont tous extraits d’un ouvrage intitulé « Les saisons » dont l’auteur, François Jacqmin, est mon père. Un ouvrage paru en 79 aux édition « Phantomas » et réédité en 88 aux éditions Labor (collection Espace Nord).
Les photos présentées ici n’ont nullement la vocation ou la prétention d’illustrer les textes en question (ils n’en ont d’ailleurs pas besoin), il faut y voir une humble recherche, une tentative de « communion » avec ce livre qui pourrait être qualifié de « Précis d’économie poétique» tendant au dépouillement extrême, à l’ascétisme artistique
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(Heure-le-Romain, chez moi, dans la cour)

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Il faut revivre!

Ce cri racle les murs jusqu’à
la pierre.

Tout est irrésistiblement
cru.

La vérité dégénère en délire


oxalique.

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(Le printemps extrait de: "Les Saisons" de François Jacqmin, Editions Labor, collection Espace Nord, 1988)

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10 juin, 2007

Carretera austral (18e et...dernier épisode !)

Dimanche 11 janvier 98

Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne

Puerto Tranquilo-Coyhaique

Aujourd’hui, nous entamons pour de bon notre retour vers la « civilisation ». Un premier tronçon, en bus, vers Coyhaique nous fait traverser des hectares de forêts calcinées et de vastes zones couvertes de cendres, souvenir de l’éruption de l’ Hudson en 91. Une région désolée où la végétation a bien du mal se remettre des ravages du fameux volcan.
Nous arrivons en début de soirée à Coyhaique et retrouvons avec plaisir le petit chalet que nous avait loué Madame Schoonbrodt quelques semaines auparavant. Il n’y a presque plus de cerises dans le jardin mais les framboises commencent à mûrir !

Lundi 12, mardi 13 et mercredi 14 janvier 98

Coyhaique

Trois journées d’attente et de repos. Le bus en direction de Chaiten ne part que jeudi. Nous avons enfin pu retirer de l’argent dans une agence bancaire et en profitons pour compenser les « carences » alimentaires de ces derniers jours de « vaches maigres ». Nous commencions un peu à saturer du porridge et de la soupe en sachet.


Jeudi 15 janvier 98

Voyage en minibus vers Chaiten. Un trajet d’environ 12 heures dans un minibus archi-bondé. Nous revoyons comme dans film accéléré tous les villages que nous avions traversé auparavant à vélo. Aujourd’hui, la pluie et la grisaille se sont emparées du paysage rendant parfois méconnaissables, tristes et désolés ces lieux grandioses.
A Puyuhuapi, un jeune couple d’ Allemands et leur petite fille de 3 ans résidant en Argentine,
ont pris place dans le minuscule véhicule.
Le reste du voyage n’en deviendra que plus pénible d’autant que la suspension du minibus semble proche du point de rupture.
En chemin, à travers la vitre embuée, j’ai aperçu un couple de cyclistes en sens inverse. Il sont pris dans la tourmente. Je nous revois à cet endroit il y a quelques semaines. Je suis un peu mélancolique. Je sais combien ils doivent pester contre cette nature parfois si peu clémente mais je voudrais être de nouveau à leur place et vivre une fois encore aussi intensément. Non pas pour nous « mesurer » aux éléments ni même tenter de lutter contre eux mais les accepter et simplement vivre en harmonie avec ceux-ci.
Avoir conscience de son insignifiance, certes, mais sentir que l'on fait partie intégrante et indissociable d’un grand tout.

Enfin et pour paraphraser l'acteur-voyageur Bernard Giraudeau: "La première qualité du voyage n'est-elle pas de nous révéler notre "petitesse" et notre ignorance?"

(retour vers Puerto Montt)

06 juin, 2007

Carretera austral (17)

Samedi 10 janvier 98

Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne.

Rio Tranquilo

Une journée qui, contre toutes attentes, démarre sur les chapeaux de roue. Enfin si on peut dire.
Dés le lever, j’apprête le déjeuner et commence par placer notre petit réchaud sur la table de nuit pour préparer le porridge et le café. Je ne sais trop ce qui se passera à ce moment : un faux mouvement ou peut-être un courant d’air va provoquer l’embrasement quasi instantané des rideaux. Marie-Hélène et Pablo se précipitent aussitôt dans le hall d’entrée et moi, dans la douche, où je rempli aussi vite que possible une casserole d’eau que j’expédie dans la foulée en direction de la fenêtre. Qui se lézarde instantanément. Marie-Hélène, de son côté, a imprégné d’eau des essuies qu’elle a trouvé dans les toilettes et reviens les appliquer tant bien que mal sur les tissus encore rougeoyants. Si nous arrivons assez rapidement à maîtriser les flammes, une fumée dense et suffocante a par contre envahit la pièce. Je tente d’ouvrir la fenêtre, mais en vain. Celle-ci a été clouée de l’extérieur. Probablement pour éviter son ouverture intempestive lors de tempêtes. Nous laissons donc la porte de la chambre ouverte ainsi que le petit orifice situé dans la douche de manière à aérer au maximum la chambre. Dieu merci, personne n’a été blessé ni a été témoin de l’accident. Les rares locataires du premier, des ouvriers affectés a la construction d’une route sont déjà partis et les propriétaires de l’immeuble sont absentes pour une partie de la matinée. Nous aurons le temps de remettre un peu d’ordre en espérant que cette odeur ait d’ici là disparu.
Comme nous n’avons toujours pas déjeuné, nous décidons cette fois d’emporter notre pitance du jour ainsi que le fameux réchaud sur la plage. Ce sera finalement moins risqué que dans la chambre. Par contre, le vent sera tellement violent qu’il faudra bien une heure pour faire bouillir notre eau.

Remis de nos émotions, nous envisageons, dans le courant de l’après-midi, de partir à la recherche des descendants de Gabriel de Halleux. Leur propriété se situerait en bordure de la Carretera, à moins de dix kilomètres du village. « Il n’y a pas des tas d’autres fermes dans les parages, vous la trouverez facilement, nous avaient dit leurs cousins rencontrés la veille ». De fait, peu à après Puerto Tranquilo, un pont baptisé « El Belga » (Le Belge !) nous laisse supposer que des compatriotes ont dû poser leurs valises dans le coin. Nous descendons par un petit chemin à la droite de la piste principale et découvrons un ensemble de bâtiments agricoles, quelques hangars en bois, des pâtures plutôt escarpées et un corps de logis assez coquet, bien entretenu et précédé d’un jardinet. Comme nous ne sommes pas persuadés que la dame qui vient de nous ouvrir la porte est bien une des filles du fameux Gabriel, nous nous adressons à elle, dans un premier temps, en espagnol. Peine perdue, notre accent nous a tout de suite trahi. « Vous, je parie que vous êtes Belges, s’exclame la dame en souriant ! ». La sympathique sexagénaire qui s’exprime ainsi s’appelle Jeannine.
Jeannine de Halleux.
Elle est l’aînée des neuf enfants de Gabriel.
Elle et son mari, Monsieur Raty -Belge également et membre d’une des familles amies qui avaient accompagné Gabriel dans son équipée- ont en quelques sortes décidé de poursuivre la folle aventure du patriarche. Comme ils nous l’expliquent, après avoir pas mal baroudé et tenté différentes expériences agricoles dans les environs, c’est finalement ici, tout près de Puerto Tranquilo que le couple a trouvé son équilibre et surtout des terrains aptes et suffisamment grands pour faire paître leur cheptel (ovin et bovin). « Ici, la manière de pratiquer l’élevage n’a rien avoir avec celle que l’on connaît en Belgique. Dans cette région, on considère que chaque bête doit « avoir ses 4 hectares », en Belgique, c’est au minimum 4 bêtes par hectares, et encore, quand ces bêtes ont la chance de vivre à l’air libre, nous dit Monsieur Raty ».
Bien que fort occupés en ce moment, Jeannine et son mari insistent pour que nous restions un moment avec eux. « De toutes façons, c’est l’heure du « 4 heures », installez-vous nous dit Jeannine, je vais préparer quelque chose ».
Pendant que la maîtresse de maison s’en est allée dans la cuisine pour faire du café et chercher des petits gâteaux. Son mari nous a entraîné dans le bureau où il nous fait part de sa passion pour l’ histoire. Méticuleusement rangés dans des vitrines et sur des étagères, une quantité d’objets ayant appartenu à d’antiques peuples sud-amérindiens racontent l’histoire et la vie de cette région bien avant les conquistadores et les colons. Ici des flèches et des hameçons ; là, des peignes ou des massues que devaient manier les Onas et les Yaganes, les Puelches et les Alakalufs.
Enfin, disséminés un peu partout dans la pièce : des carnets, des notes et des croquis que Monsieur Raty accumulent au fil du temps, des découvertes et des rencontres. Nous passerons enfin un bon moment avec Jeannine pour lui raconter les derniers évènements qui occupent actuellement la Belgique. Pays pour lequel elle ne semble apparemment pas éprouver beaucoup de nostalgie, bien que 2 de ses sœurs y soient définitivement rentrées. Elle avoue cependant que le film que la cinéaste belge Anne Levy Morelle a consacré à son père l' a ému. Elle a eu l’occasion de le voir il y a peu sur cassette vidéo. Nous lui racontons également quelques anecdotes de notre périple à travers cette Patagonie qu’elle connaît décidément dans ses moindres recoins. Lorsque nous lui évoquons le village de Cochrane, que nous nous étions fixé comme but, Jeannine se remémore ce temps où elle y habitait (« Pas dans le village proprement-dit, mais à quelque heures de cheval, précise-t-elle ! »). « Je me souviens de cet hiver au cours duquel tout contact avec l’extérieur était impossible tant la neige avait été abondante et que trois de nos enfants avaient contracté la scarlatine. Comme le médecin était évidemment incapable de venir à la rescousse, il nous a dicté toute la procédure à suivre pour les soigner… .par radio-émetteur ! Une sacrée époque, se souvient Jeannine en souriant ! ».

Cet après-midi aura passé bien trop vite. Le soleil vient de disparaître derrière la montagne, et Monsieur Raty nous informe qu’il doit à présent reconduire quelques-uns de ses ouvriers à Puerto Tranquilo. Si nous désirons rentrer maintenant, c’est l’instant nous dit-il !
Nous faisons nos adieux à Jeannine et la remercions pour cet accueil aussi improvisé que chaleureux.

Il fait presque noir lorsque nous retrouvons la pension. Nous saluons les patronnes de l’établissement en espérant qu’elles n’aient rien remarqué (ou senti) du début d’incendie de ce matin. Apparemment, rien n’aura « filtré, et les deux dames se montrent plutôt de bonne humeur. « J’espère que vous prendrez le repas du soir ici, s’exclame l’une d’elles ». Nous n’osons refuser et nous nous installons à l’une des tables près de la fenêtre d’où l’on aperçoit le lac, la lune qui s’y reflète et les barques amarrées à de rustiques pontons.

Ce soir, Pablo et Marie-Hélène n’ont pas trop envie de jouer les prolongations et partent dormir de bonne heure. Je resterai attablé seul puis bavarderai un moment avec les locataires du « premier ». Une bande de rudes et joyeux ouvriers travaillant à la construction d’une piste à travers montagne et forêt en direction de Bahia Exploradores.(La Baie des Explorateurs) « Là-bas, me disent-ils, une ébauche d’infrastructure portuaire est en train de se mettre en place. Cela va alléger le trafic maritime de Puerto Chacabuco et surtout écourter le chemin vers la fameuse Laguna San Rafaël. Ça va être bon pour le tourisme et surtout pour le village et toute la zone, ajoutent-ils, enthousiastes ».
Durant la conversation, un des ouvriers me prend un peu à l’écart et me fait une curieuse proposition : « Vous savez, je ne gagne pas trop mal ma vie ici, et j’aimerais engager quelqu’un comme vous à mon service, me dit-il presqu’en chuchotant ». Comme je lui demande quelques précisions quant à l’éventuel travail à fournir, celui-ci me répond qu’il voudrait offrir à sa fille un professeur particulier pour lui apprendre… le français !
Je tente de lui expliquer que cela n’est pas possible, mais l’homme insiste pour que, au moins, j’entame avec elle une liaison épistolaire régulière. Il ne me laisse pas le choix et, de manière un peu brutale, aligne sur la table une liasse de billet. « Voilà 2500 pesos, ce n’est qu’un acompte, à chaque lettre envoyée vous recevrez la même somme, j’espère que cela vous convient ? ». Comme je ne me montre guère enthousiaste, son voisin –qui n’a rien perdu de la scène-, me fait signe discrètement qu’il ne serait pas bon pour moi de refuser cet argent et que mon interlocuteur risquerait bien de se mettre en colère….
De toutes évidences, je ne ferais pas le poids avec ce colosse patagon en cas d’affrontement. Je n’ai pas le choix: j’ empoche l’argent et…. décide d’offrir (avec cet argent) une tournée générale, puis deux, puis trois… L’atmosphère va progressivement se détendre et mon ex-futur « employeur » se mettra rapidement à dodeliner de la tête.
Il va bientôt compter les moutons…..
C’est normal, qu’y a-t-il d’autre à compter en Patagonie !

(Puerto Tranquilo, jeunes chasseurs de têtards)

("Bouillons blancs" au bord du lac General Carrera)

(Puerto Tranquilo, le cimetière)