27 février, 2008

Chili, des photos, des légendes...(2)

Arica et le Grand Nord chilien

Vers les cimes...

(Le Moro de Arica)

Pour atteindre les hauts plateaux et les premiers villages andins au départ d’Arica, la solution la plus économique est d’emprunter un bus jusqu’au petit hameau de Poconchile. Là-bas, il ne reste plus qu’ à s’armer de patience jusqu’à ce qu’un chauffeur accepte de vous charger jusqu’ à destination, en l’occurrence le Parc National Lauca.

Le bus se prend à 7h30 à l’angle des rues Vicuña Mc Kenna et Chacabuco.
Il y a déjà à l’arrêt une douzaine de personnes. Des hommes et des femmes parfois accompagnés de jeunes enfants. Ils sont assis sur le trottoir avec leur balluchon de toile posé à leurs pieds. Ce sont des ouvriers agricoles que le bus disséminera bientôt sur leur lieu de travail : une verte vallée coincée au creux d’énormes dunes, fertilisée par le rio Lluta. Bien irriguées, ces terres d’aspect ingrat permettent entre autres cultures, celle du maïs. En ce début de novembre, les journaliers sont occupés à sa récolte à raison de six jours par semaine..
Les visages sont fatigués. Dès le matin, les corps fourbus s’avachissent sans précaution sur le skaï éventré des banquettes. Les hommes, en dehors d’un bref salut, se parlent peu. A peine installés, aussitôt endormis. Il n’y a pourtant aucun risque de passer outre son arrêt. L’adjoint au chauffeur veille et secoue familièrement chacun au moment opportun.

Tout au long du parcours, de grands panneaux installés en bordure de route rappellent les consignes élémentaires permettant d’éviter la propagation d’un fléau que d’aucuns imaginaient vaincu dans cette zone. Le choléra a en effet refait depuis peu son apparition au Chili et en particulier dans cette zone.

Passé l’étroit défilé des terres fertiles, le sol retrouve vite une rigoureuse aridité. Les seuls jalons verts sont formés de buissons épineux et d’arbustes chétifs s’arrachant stoïquement à la gangue sablonneuse.
Soudain, comme un défi à la dramatique austérité des lieux apparaît une insolite construction : quatre de murs de terre craquelée recouverts de tôle. Sur un petit écriteau surmontant l’édicule, une calligraphie maladroite annonce : Salle du Royaume de Jéhovah. En caractères plus petits ont été ajoutés ces mots : La parole dans le
désert.

Voici venu le moment de descendre. Le bus termine ici sa tournée et l’adjoint au chauffeur distribue les derniers colis destinés au poste de carabiniers ainsi qu’au patron d’un petit relais routier situé en face. Le centre de Poconchile se résume à ces deux bâtiments et à cette belle église en adobe chaulé. Dans le prolongement de celle-ci, comme un jardin sans limite, une multitude de croix rongées par les sables et le vent s’égare dans les replis brumeux d’un océan de dunes.

(Poconchile, l'église -une des plus anciennes du Chili- et le cimetière)
Nous resterons trois ou quatre heures là à attendre un véhicule qui accepte de nous charger. Notre laborieuse attente se couronne enfin de succès lorsqu’un convoi de camionnettes sans passager ni bagage s’immobilise pour régler les formalités administratives imposées à ce poste, le dernier avant la frontière bolivienne.
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L’homme qui a la responsabilité de cette caravane nous autorise à prendre place à bord du véhicule de tête. Il nous explique qu’il s’agit de véhicules achetés à Arica qu’il doit livrer à un garagiste de Santa Cruz en Bolivie. Notre chauffeur effectue ce trajet plusieurs fois par an , du moins lorsque les conditions climatiques le permettent. En hiver, l’enneigement rend la route impraticable. (caravane de camions se dirigeant vers la
Bolivie)

La route, comme prévu, se dégrade vite au fil de la progression. L’interminable succession d’entrelacs et de côtes abruptes à travers dunes s’est muée en une rude piste de montagne.
Désormais, chaque virage impose davantage d’attention et d’habilité. Des croix rustiques rythment le parcours. Au bas de celles-ci, le nom d’un automobiliste malchanceux et la date de l’accident fatal. Ici, aucun conducteur, aussi fanfaron soit-il ne manque de « se signer » à l’approche de l’une de ces tragiques bornes. Même si celles-ci se résument parfois à un simple bâton surmonté d’une plaque minéralogique, d’un volant ou parfois du pneu qui peut-être fut à l’origine de la catastrophe.

(Le volcan Parinacota, culminant à 6320 m.)
Le dénivellé entre Arica et les rives du lac Chungara, le terme de cette première étape andine, atteint quelques 4600 mètres. Accéder à une telle altitude en un laps de temps si court ne laisse pas tout à fait indemne des organismes peu habitués à d’aussi importantes variations climatiques et atmosphériques. A peine notre convoyeur n ous-a-t-il débatqué que déjà les premiers symptômes de la soroche (mal de l’altitude) apparaissent : étourdissement, sensations d’avoir les jambes qui se dérobent, envies de vomir, etc…Même le moindre effort intellectuel semble vain. Le simple fait de monter la tente prendra plus d’une heure ! En temps normal cette opération s’effectue en une dizaine de minutes.

Deux journées viennent de passer depuis notre arrivée et l’installation laborieuse du camp à l’orée du lac Chungara. Deux jours pendant lesquels je n’ai pu quitter la tente en raison de violentes migraines et de palpitations cardiaques. A peine ai-je trouvé la force, à deux reprises, de m’extirper du sac de couchage pour aller vomir quelques mètres plus loin. Le garde-parc dont la petite maison est située à une centaine de mètres de la tente est venu plusieurs fois prendre de mes nouvelles. Il m’avertit qu’il vaudrait mieux songer à redescendre de quelques centaines de mètres si mon état ne s’améliorait pas dans les prochaines heures. Ce soir le garde m’ a encore apporté une infusion à base de feuilles de coca, de miel et de fleurs de chachacoma –une plante grasse poussant dans la région- Une mixture souveraine contre le mal de l’altitude mais dont les effets ne durent malheureusement pas très longtemps.
(Volcan Parinacota et lac Chungara, à l'avant plan statuette d'un moine qui vécu dans la région)

Pour l’instant, ma seule consolation dans ces pénibles moments tient à l’observation de ce qui apparaît le matin lorsque nous relevons l’auvent de la tente. Et rien que cela mérite que l’on souffre un peu.
Le paysage, par la rigoureuse disposition de ses éléments renferme en lui l’essence même du vertige et de la symétrie. Il y a d’abord ce volcan, cône parfait et enneigé, et puis ce lac, miroir d’acier trempé. C’est le temple de la minéralité et la force d’inertie incarnée qui s’étreignent et se repoussent dans une extase dionysiaque. Le ciel, à force de bleu chavire dans l’obscur sidéral et lorsque l’heure est venue, les petites poules d’eau s’en vont gaiement picorer les étoiles.
Dans ce décor supraterrestre, l’excès règne en maître et quand le vent se lève, il désarrime les plus fermes raisonnements. On navigue alors entre la démence et la félicité. (d'après carnet de novembre 91)



Tagua (foulque à front rouge) voguant sur le lac Chungara.

20 février, 2008

Chili, des photos, des légendes...(1)

Ça y est, c'est reparti pour un nouveau carnet. Entièrement consacré au Chili. Il est le fruit de la synthèse de trois "journaux de voyages" réalisés en 89/90, 91/92 et 2002. Les textes ne sont pas retranscrits de manière chronologique mais de manière géographique: du Nord vers le Sud.

Arica et le Grand Nord chilien

Agrandir le plan

Il a fallu 28 heures en bus depuis Santiago pour parvenir à Arica. Un peu plus de deux mille kilomètres séparent la capitale du Chile de la ville la plus « nordique » du pays. Arica compte environ 140.000 habitants (chiffre de 91) et est capitale de la province du même nom.

Il est 23 heures lorsque nous débarquons à moitié groggys du Pullman climatisé.
La nuit est tiède et silencieuse. La circulation chaotique de la journée s’est semble-t-il diluée dans les contours informes d’une banlieue de tôles et de cartons.
Hormis quelques colectivos (taxis) poursuivant leur quadrillage immuable, les rues, en dehors du périmètre central sont plongées dans une insondable torpeur.
Derrière les volets mécaniques baissés à moitié, les patrons de café s’épongent le front. Ils clôturent les comptes de la journée en buvant de la bière un peu fade.

Au sommet du morne surplombant la ville, il y a une forteresse démantelée et un drapeau qu’une légère brise océane fait mollement claquer. Il n’existe pas d’endroit dans toute la cité d’où l’on ne peut apercevoir cette énorme dune affalée tel un vieux garde assoupi entre le Pacifique et la « Ville du printemps éternel ». Ici personne n’ignore l’histoire de cette citadelle des sables. Les barbaries échangées le 7 juin 1880 lors de sa prise par les troupes chiliennes, alors en guerre contre le Pérou, demeurent dans la geste nationale parmi les épisodes les plus saillants. A la pension Balkis, la propriétaire septuagénaire et sa servante à peine plus jeune ne se font guère prier pour évoquer cet événement. Une bataille d’une cinquantaine de minutes à peine ( !) qui permit au commandant chilien José San Martin et ses troupes de prendre possession de la citadelle, et par la même occasion de se rendre maître de la région, jusqu’alors faisant partie du Pérou, et surtout permettre au Chili de régner sans partage sur ces régions riches en nitrate.

(Au sommet du Moro de Arica, juste après sa prise par les troupes chiliennes en juin 1880)

A la pension Balkis les chambres sont minuscules.
Faiblement éclairés, les murs révèlent par leurs graffitis de fréquentes et fiévreuses étreintes. Notre chambre doit d’ailleurs connaître quelques habitués à en juger par le nombre d’inscriptions égrillardes au bas desquelles les mêmes signatures se retrouvent avec régularité, notamment celle de l’étonnant « Marco ». L’homme qui de son propre aveux « fait rugir les femmes de plaisir ».

Du balcon de notre chambre on aperçoit la ville sous un de ses angles les plus désolants. Maisons raccommodées, ajoutes informes, toitures sommaires où s’ajustent pêle-mêle d’anciens panneaux publicitaires, des tonneaux déployés, des morceaux de plastique et des bouts de planches. Dieu merci, pour les habitants, il ne pleut guère souvent dans la région. La propriétaire de la pension reconnaît elle-même n’ avoir pas souvenance de la moindre ondée, si passagère fût-elle au cours de ces trente ou quarante dernières années.

Sans mettre en doute sa mémoire, du moins en ce qui concerne les événements météorologiques, le souvenir de la dictature ne semble par contre pas avoir affecté outre mesure la vieille logeuse. Ainsi cette affichette, presqu’ anodine collée près du téléphone et qui témoigne en deux lettres ses convictions : Si !. Il s’agit du « Oui » -mot-symbole d’une vaste campagne orchestrée par l’état- qu’il s’agissait d’exhiber pour marquer sa sympathie et surtout sa volonté de voir se poursuivre la politique dictée par le gouvernement de Pinochet.
La vieille dame qui un jour apposa ce feuillet n’aura peut-être été sensible qu’au versant « honorable » d’un programme promettant à chacun le maintien de l’ordre et de la sécurité.

Aujourd’hui, deux ans après les élections et la victoire de l’opposition ; comme s’il s’agissait de donner raison aux craintes de l’homme de la rue et de légitimer ses appréhensions, une certaine presse est plus que jamais prête à relayer les faits-divers brutaux et sordides qui selon les éditorialistes locaux n’étaient il y a peu que l’apanage des nations dissolues et décadentes.

Ce matin, un horrible méfait faisait la une d’un de ces tabloïdes à grand tirage. On y relatait le meurtre d’une jeune femme dont seuls le tronc et une jambe avaient été repêchés dans les eaux d’une rivière proche. Une agression commentée de la façon suivante : « Le corps de la victime, par sa blancheur et les sous-vêtements qu’elle portait, ne pouvait appartenir qu’à celui d’une fille de la nuit, plus accoutumée aux éclairages suggestifs des cabarets qu’à la vie au grand air de ces femmes travaillant aux champs ou quelqu’autres activités dignes d’une bonne mère de famille ». Et le « journaliste » d’ajouter comme ultime argument : « Les ongles de l’unique pied découvert étaient soigneusement vernis et manucurés. (sic)» (d'après carnet de voyage de novembre 91)

(Arica, l'église San Marco, inaugurée en 1876. Une construction entièrement en acier (sauf la porte!) préfabriquée dans les ateliers Gustave Eiffel)

14 février, 2008

Voyage à travers "Les Saisons" (16)

Une série de billets faisant suite à celle entamée l' été passé et intitulée "Voyage à travers les saisons". Il s'agit d' un parcours en photos à travers la campagne oupéyenne assorti d' un choix de poèmes extraits d'une oeuvre majeure du poète belge François Jacqmin. Cette oeuvre intitulée "Les Saisons" a (notamment) été éditée aux Editions Labor, collection Espace Nord en 1988)

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Hiver
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(Heure-le-Romain, hiver 2007/2008, au lieu-dit "Les Hachettes")

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La sève abuse de sa

léthargie.

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Elle qualifie les anciennes

frondaisons de passé inepte.

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Elle envoie l'arbre aux antipodes.

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12 février, 2008

Voyages à travers "Les Saisons" (15)

Une série de billets faisant suite à celle entamée l' été passé et intitulée "Voyage à travers les saisons". Il s'agit d' un parcours en photos à travers la campagne oupéyenne assorti d' un choix de poèmes extraits d'une oeuvre majeure du poète belge François Jacqmin. Cette oeuvre intitulée "Les Saisons" a (notamment) été éditée aux Editions Labor, collection Espace Nord en 1988)
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Hiver


(Heure-le-Romain, hiver 2007/2008, sentier vers Haccourt)

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L'atmosphère a la dure fixité

des musées.

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Le buste du monde a le regard pur

et absent des grands anciens.

L'existence cède au paradoxe

de la pierre.

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Une promenade prend l'aspect

d'un combat au burin.

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06 février, 2008

Voyage à travers "Les Saisons" (14)

Une série de billets faisant suite à celle entamée l' été passé et intitulée "Voyage à travers les saisons". Il s'agit d' un parcours en photos à travers la campagne oupéyenne assorti d' un choix de poèmes extraits d'une oeuvre majeure du poète belge François Jacqmin. Cette oeuvre intitulée "Les Saisons" a (notamment) été éditée aux Editions Labor, collection Espace Nord en 1988)





Hiver
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(Heure-le-Romain, hiver 2007/2008, vers le lieu-dit "Beaurieux")

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Il est vain de demander son

chemin lorsqu'il neige.

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Autant parler d'institutions

auprès du nomade pour qui le

vent est un patrimoine et la

rose un foyer.

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A ce moment, la blancheur a

l'âme de la cécité.

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L'absence de lieu est portée

à son incorruptible degré de

perfection.

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03 février, 2008

Voyage à travers "Les Saisons" (13)

Une série de billets faisant suite à celle entamée l' été passé et intitulée "Voyage à travers les saisons". Il s'agit d' un parcours en photos à travers la campagne oupéyenne assorti d' un choix de poèmes extraits d'une oeuvre majeure du poète belge François Jacqmin. Cette oeuvre intitulée "Les Saisons" a (notamment) été éditée aux Editions Labor, collection Espace Nord en 1988)
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Hiver

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(Heure-le-Romain, hiver 2007/2008, serre à l'abondon rue El Vaux)

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Le pays gît dans une quiétude

fermée.

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L'approche du soir appuie un

désir de vivre sobrement

dans le passé.

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On se met à rêver aux douleurs

impossibles auxquelles on a

survécu sans raison.

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On se nourrit du rien dont le

reste est fait.

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01 février, 2008

Voyage à travers "Les Saisons" (12)

Avant d'entamer un nouveau carnet de voyage, voici une petite série de billets faisant suite à une autre entamée l' été passé et intitulée "Voyage à travers les saisons". Il s'agit d' un parcours en photos à travers la campagne oupéyenne assorti d' un choix de poèmes extraits d'une oeuvre majeure du poète belge François Jacqmin. Cette oeuvre intitulée "Les Saisons" a (notamment) été éditée aux Editions Labor, collection Espace Nord en 1988)

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Hiver
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(Heure-le-Romain 2007, structure métallique émergeant d'un étang dans une carrière désaffectée)
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Il est une forge où l'on
frappe l'eau jusqu'à l'immobilité.
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Les poissons partagent le
sort de cette embarassante
impotence.
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Serait-ce un effet de l'indifférence
que de parler
d'équilibre lorsque rien
ne bouge?
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