27 octobre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (14bis)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Ouest en Est de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....



Mercredi 11 et 12 novembre (Ile de Taquile/Pérou) (suite)


Pour clore cette partie péruvienne et avant d’entamer le « chapitre » bolivien de ce périple, un petit rabiot de photos de cet eden frugal (comme le dit fort justement Nuages dans l’un de ses derniers commentaires) que constitue l’île de Taquile.

(Taquile, cultures en terrasse, cabanes en pierre et toit de chaume. A l'arrière plan, omniprésent le lac Titicaca)







(Tôt le matin, cette petite fille tout en rouge se rend à l'école du village (un peu inquiète par la présence inattendue du photographe!)










(En fin d'après-midi, on ne déroge pas à la tradition: aussitôt revenus des champs, les hommes dressent au milieu de la place le filet de volley. Bientôt le match pourra commencer)








(Taquile, le clocher de l'église. Comme un partout dans les Andes celui-ci est séparé du corps de l'église. Cette coutume architecturale tient au fait que l'on considère ici le clocher comme un symbole masculin tandis que le corps de l'église figure le corps féminin. L'un et l'autre ne pouvant être associé dans le cadre d'un lieu de culte!)


(De nouveau, les harmonieuses cultures en terrasse rythmant le relief de l'île)


(Au bord du chemin, une imposante roche volcanique fissurée. Dans l'interstice, une jolie composition florale s'est créée spontanément)



La nuit venue, on se réfugie dans l'unique café du village dont l'éclairage se limite à une petite lampe à pétrole. Pour se réchauffer la patronne propose d'excellentes infusions de coca.


Ce soir, nous rencontrons Peter, un Autrichien amoureux de l'île. Depuis qu'il l'a découverte, il y revient chaque année depuis bientôt dix ans!

20 octobre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (14)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Ouest en Est de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....


Mercredi 11 et jeudi 12 (Ile de Taquile/Pérou)


Comme une parenthèse magique avant de quitter le Pérou, ces deux journées sont consacrées à un périple hors du temps, loin du chaos et des villes, des rumeurs de violence, du désordre et de la misère généralisée.
Cette exception, ce havre de douceur et de paix s’appelle Taquile, une île située à environ trois heures de navigation au départ de Puno.

Dans la petite barque à moteur, vraisemblablement barrée par l’arrière-arrière-petit neveu de Manco Capac, nous sommes une petite douzaine de voyageurs à avoir pris place. Ceux-ci, pour la plupart, ne resteront que quelques heures sur l’île, pressés par le timing d’un tour organisé.

Les autres, c’est à dire Erin, Alain, Marie-Hélène et moi-même, avons décidé d’y séjourner au moins deux jours et deux nuits.

Certes, l’île n’a pas l’air très vaste et sans doute en aurons nous fait le tour en quelques heures, mais nous pressentons comme une sorte d’onde positive, à la fois attirante et mystérieuse, qui émane de ce bout de terre perdue au cœur du lac Titicaca.

Avant d’y poser le pied, une courte étape est prévue à quelques encablures seulement de notre point de départ. Nous accostons sur ce que certains ici appellent les îles flottantes. Il s’agit de curieuses plates-formes artificielles constituées d’amas de joncs.
Pour le seul plaisir des touristes (et la vente d’objets artisanaux, également en joncs), quelques familles y vivent pendant la journée et ont reconstitué le mode de vie et les habitations des Uros, une ethnie amérindienne aujourd’hui disparue mais que les guides persistent toujours à présenter comme de « véritables » Uros.
Ce qui semble par contre authentique et remarquable, c’est ce savoir-faire que les habitants des lieux ont admirablement perpétué : la fabrication des fameux radeaux en joncs tressés.

Ces embarcations dont l’ anthropologue norvégien Thor Heyerdahl s’était inspiré pour mener à bien la construction de son bateau (le Kon Tiki) en 1947 et tenter de prouver que des peuples amérindiens avaient pu découvrir -voire coloniser- des territoires dans le Pacifique sud et notamment l’Archipel des Tuamotu (situé à plus de 5000 kilomètres des côtes péruviennes) que l’anthropologue atteindra par ailleurs à bord de son radeau au bout de trois mois de dérive.

Voici enfin Taquile.
Le bateau accoste à l’ombre d’ un modeste quai où quelques personnes attendent de décharger des produits venant de la ville.
Les bidons d’huile, les tonneaux de pétrole, les sacs de farine, les casiers de boissons sont aussitôt arrimés sur le dos des hommes.
Avant d’atteindre le village, il reste en effet plus de 500 marches à gravir par un escalier monumental taillé dans la roche.

Le village est tout petit et s’articule autour d’une place en terre battue. On peut voir la mairie, l’église -avec son clocher séparé du corps-, la coopérative agricole et artisanale, un petit commerce faisant office de café et sa terrasse composée de quelques tables et chaises dépareillées.

Dans la campagne alentours on aperçoit des maisonnettes en terre séchée et des cultures de pommes de terre ou de quinoa s’étageant en terrasses harmonieuses jusqu’aux rives du lac.
Pour les deux jours à venir, nous serons logés dans une de ces minuscules cabanes que nous allons partager avec le couple belgo -australien rencontré la veille.

Il n’ y a ni eau, ni électricité. D’ailleurs, dans le village, l’éclairage public ne fonctionne que très occasionnellement, lors des jours de fête par exemple. Pour ce qui est de la toilette, cela ne pose pas grand problème puisqu’il y un puit à proximité.
Pour pallier à l’absence d’éclairage, il suffira de regagner sa paillasse avant le coucher du soleil et ainsi éviter de s’égarer la nuit venue.

Pour le reste, et pour les jours à venir, on se contentera d’adopter le mode vie tranquille et serein des habitants de l’ île. Ainsi, lorsque les hommes sont revenus des champs, il est fréquent de les voir se promener calmement… en tricotant !
Les jeunes comme les vieux sont visiblement passés maîtres dans cet artisanat.. Les femmes, en revanche, se consacrent plus volontiers au filage de la laine qu’elles effectuent au moyen d’un curieux ustensile en bois ressemblant à une toupie.

En fin d’après-midi, une autre coutume bien ancrée est celle de la partie de volley-ball.
Vers les quatre heures, la place se remplit comme par enchantement et les hommes y dressent au beau milieu un grand filet.
Les équipes -masculines, féminines ou mixtes- se forment aussitôt et les matchs de se disputer jusqu’à la nuit tombée devant un public enthousiaste.

Comme partout ailleurs, la suite se déroulera au café -le seul et unique- du village où chacun ira de son commentaire sur les performances (ou maladresses) de tel ou tel joueur, la forme (ou la méforme) de telle ou telle joueuse. Le tout sur fond de musique crachotée par un transistor antédiluvien et dans la lumière vacillante d’une lampe à pétrole que la patronne n’a de cesse de ranimer


















(Partie de volley à Taquile)

15 octobre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (13)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Est en Ouest de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....

Mardi 10 novembre (Puno/Pérou)


Du « nombril » du monde (inca) aux rives du plus vaste lac sud-américain (le Titicaca), il y a une éternité. Si la carte indique que 300 kilomètres à peine séparent Cuzco de la petite ville portuaire de Puno, il faut en revanche au train une bonne douzaine d’heures pour les parcourir. Certes, le relief est accidenté, mais ce sont principalement les haltes aux différentes gares qui paraissent interminables : chargements et déchargements de colis les plus divers -y compris poules et jeunes lamas-, vérifications de billets, contrôles policiers mais aussi passages de marchands de « plats préparés » et de boissons. Ces commerçants sont sans doute de mèche avec le machiniste ou le chef de gare puisque le train ne semble jamais démarrer que lorsque ces vendeurs ont écoulé leur stock de marchandises.
Un rapide calcul nous fait aboutir à la conclusion que ce convoi va atteindre la moyenne stupéfiante (dans tous les sens du terme) de…25 km/h.

Cette fois, nous faisons la connaissance d’un jeune couple belgo-australien -Alain et Erin- avec qui nous bavarderons le temps de ce voyage sans fin. Le garçon, originaire d’Anvers, s’est amouraché il y a quelques mois, à Bali (!), de cette jolie australienne au visage parcouru de taches de rousseur. Les tourtereaux-voyageurs ont à peine vingt ans et sont bien décidés, disent-ils, à ne plus déposer leurs valises avant longtemps. « Vivre c’est voyager, se « fixer" c’est mourir, ajoutent-ils en chœur. Et quand on n' aura plus de sous, renchérit Erin, on fera n’importe quel boulot, puis on repartira… jusqu’à la fin des temps ! ».

Une fois de plus, nous allons « accoster » dans la ville à la nuit tombée.
Il fait calme, et même un peu triste dans cette bourgade perdue des Andes. La vie nocturne à l’air de se résumer à quelques bistrots borgnes en front de lac.
Amarrés au loin, quelques vedettes de la marine péruvienne se balancent mollement au gré des clapotis.

Excepté si l’on veut y faire des achats de laine de lama ou d’alpagua –ce que nous n’avons pas programmé- il n’y a apparemment pas grand à voir ou à faire ici. Les rives du lac sont en outre assez sales et les baignades peu recommandées. De toutes façons, à cette altitude (3855 mètres) l’eau ne doit pas être très chaude. Quant aux chaises longues et aux parasols, ils ne font pas encore partie du décor.
En soi, Puno n’est pas une étape fondamentale, mais la petite cité lacustre constitue un point de passage obligé vers la Bolivie. Donc, nous y passons !

Flanqués d’Alain et Erin, nos nouveaux compagnons de voyage, nous dégottons une pension sympathique dont le patron ne manque décidément pas d’esprit d’à propos.
« En principe, il n’y plus de place dans l’hôtel, mais je vais essayer d’arranger quelque chose, nous assure l’hôtelier en nous faisant signe de le suivre ».
Nous l’accompagnons à l’étage où il s’arrête devant une chambre. Il frappe à la porte et engage une négociation visiblement serrée avec des locataires : deux touristes hollandaises peu amènes à qui le proprio est en train de demander de se pousser un peu pour nous laisser de la place. Le taulier se montre assez persuasif et au bout de auelques minutes, nous invite à partager la chambre des deux bataves à qui l’on n’a visiblement guère laissé le choix. L’ambiance sera un peu tendue dans la chambrée et c’est à peine si les filles nous adresseront un salut.
On peut les comprendre mais de là à refuser de nous parler jusqu’au lendemain, c’est un peu dur….

Dans ce même registre d’ « intimité compromise », l’ établissement où nous dînerons ce soir constituera un sommet du genre.

Les toilettes y jouxtent la cuisine mais la porte séparant les deux pièces a purement et simplement disparu. Ce qui permet, notamment, de faire la causette avec le cuistot tout en soulageant sa vessie ! Je doute que cette configuration des lieux soit tout à fait orthodoxe sur le plan de l’hygiène mais cela n’a l’air de heurter personne.


(Puno, Lac Titicaca)

13 octobre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (12)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée longitudinale de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche.


Lundi 9 novembre (Cuzco/Pérou)

Dernière journée passée à Cuzco ainsi que préparatifs pour le départ de demain vers Puno, sur les rives du lac Titicaca.
Consacrons notamment cette journée à la visite d’un musée dédié à l’ « Ecole de Cuzco ».
Cette école est synonyme d’un style pictural initié par deux peintres italiens (le jésuite Bernardo Bitti et Angelo Medoro) arrivés vers le milieu du XVIe siècle à Cuzco. Ces derniers, imprégnés du style maniériste en vogue à l’époque en Italie, ont influencé des quantités d’artistes péruviens qui à leur tour ont décliné les thèmes religieux imposés par leurs maîtres avec ce style étrange caractérisé par un traitement des couleurs et de l’espace souvent irréel préfigurant à plus d’un égard le style baroque.


Nous poursuivons cette journée par la visite de la cathédrale et son impressionnant retable en argent massif puis déambulons au hasard jusqu’au vieux quartier dit « Inca » dominant la ville où se trouvent nichées la jolie placette San Blas et sa modeste église du XVIe abritant une des merveilles de la ville : une chaire en bois sculpté ornée d’une profusion de personnages oniriques et religieux. « Une œuvre magistrale d’un baroque triomphant » comme s’accordent à le définir tous les guides touristiques ! C’est en tous cas extrêmement « chargé »!

Débusquons en soirée un modeste resto où pour quelques intis (monnaie péruvienne en vigueur en 87) il est possible de se restaurer correctement. La carte ne propose pas grand chose d’autre que l’éternel poulet-frites-salade, mais ce sera suffisant pour ce soir.
Le service est rapide mais la nourriture se révèlera tout aussi rapidement immangeable.
Je picore sans trop d’enthousiasme lorsqu’une malheureuse en haillons fait irruption dans la salle. Avisant mon assiette, elle me demande « Avez-vous fini de manger ? ». Comme je lui bredouille une réponse fort improbable, elle sort aussitôt de sa poche un petit sachet en plastique. Elle y vide mon assiette.
La pauvre femme s’agenouille, se confond en remerciements puis disparaît avec ce qui, peut-être, constituera son repas du jour.



























(Cuzco, quartier San Blaz)

08 octobre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (11)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée longitudinale de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche




Samedi 7 novembre (Machu Picchu/Pérou)

De Cuzco, et même d’ailleurs, il n’ y pas 36 façons d’accéder au Machu Picchu, la mythique cité inca découverte par l’archéologue américain Hiram Bingham en 1911.
Il y a le train ou...le train. Celui dit des "Touristes" et l'autre, appelé le "Local" plus lent, certes mais nettement moins cher. C’est ce dernier que nous allons choisir pour cette nouvelle équipée…très touristique.
Encore que.
Sur le quai de la gare d’Ollantaitambo, il y a en effet beaucoup de monde, mais de touristes, à peine une demi-douzaine ! A tel point que nous nous demandons si nous ne nous sommes pas trompés de gare. Le guichetier, celui qui est parvenu a nous refiler deux billets de première classe alors qu’il sait parfaitement que tout est déjà complet, nous confirme pourtant que nous sommes bien sur la bonne voie !

Sans doute découragés par les avertissements alarmistes de la plupart des guides au sujet du « train local » (vols, agressions, etc…) les touristes de ce jour ont-ils préféré une manière plus sécurisante de découvrir le site.
Tant pis pour eux, car ce voyage promet d’être mémorable et surtout résolument « sportif ».
Dès son entrée en gare, le train est déjà largement en surcharge. Un bon nombre de passagers sont d’ailleurs installés sur les marchepieds, agrippés aux mains courantes.
Pénétrer dans le wagon requérra l’énergie d’un rugbyman s’extirpant de la mêlée. Tout est bon pour se faire une place : coup de coudes, coup de tête et surtout…. coup de gueule. Et c’est visiblement celui qui aura la plus grande qui aura la permission de rester debout dans le couloir. Et encore.
Nous ne devrons notre salut qu’à une sorte de petit « miracle ». Coincés jusqu’à présent dans le réduit situé l’arrière du wagon, nous allons basculer inopinément, Marie-Hélène et moi, derrière une porte dont le chambranle ne tenait plus qu’à une vis. Nous nous retrouvons aussitôt projetés dans les toilettes. Le seul endroit du train où personne n’avait encore pensé à s’installer, du moins durablement ! Une fois la planche du W.C. abaissée, nous devenons donc les heureux locataires d’ un siège tout à fait acceptable que nous ne quitterons que dans 4 heures. Exceptions faites des odeurs, nous sommes heureux de la tournure des événements. Nous avons ouvert la fenêtre au maximum et pouvons de surcroît apprécier le paysage. Vu de ce côté, c’est une végétation dense et luxuriante qui défile à portée de nos mains. Une forêt humide qui s’étage à flanc de montagnes dont les sommets s’égarent dans les brumes matinales. De l’autre côté, mais ça, nous ne le voyons pas, il y a un ravin au fond duquel cavale l’Urubamba, une rivière torrentueuse, violente et limoneuse qui, 700 kilomètres plus au nord, se jette dans l’Apurimac, un puissant affluent de l’Amazone.

Il est environ midi lorsque le train s’arrête à la station « Machu Picchu ». Il s’agit en fait d’un petit village dont le nom est Aguascalientes, situé à environ 2 heures de marche de la cité inca. Toute la vie de cette localité semble être concentrée au bordure de la voie ferrée. Les marchands de fruits, de légumes et de volailles campent littéralement sur les quais, voire sur les rails qu’ils ne quittent que lorsqu’un convoi apparaît.

Un peu à l’écart et surplombant l’Urubamba, une nuée de petits commerces et de pensions s’agrippent autant que possible aux ruelles pentues et boueuses. Aux terrasses des cafés et des restos on peut entendre, dans toutes les langues, les routards commenter leurs aventures aux nouveaux arrivants pressés d’ en découdre avec la « vieille montagne » (Le Machu Picchu en quechua)

Dimanche 8 novembre

Il est 6 heures du matin.
Au creux de cette étroite vallée où se niche Aguascalientes, la lumière est encore bien blafarde.
Notre petit-déjeuner englouti (de bourratives crêpes à la bananes -panqueque de platanos-), nous dévalons les ruelles encore désertes et retrouvons, face à la gare, Nigel et Richard, deux jeunes Londoniens rencontrés la veille. Nous nous sommes mis d’accord pour faire la route ensemble jusqu’au Machu Picchu et tenter d’y arriver avant le flux des touristes.
La première demi-heure de marche est facile puisqu’il suffit de longer la voie ferrée.
Une fois passé le pont métallique enjambant la rivière, à hauteur du lieu-dit Puente Ruinas, Nigel suggère que nous empruntions un raccourci à travers la montagne. Son guide indique formellement que cela permet de gagner un temps précieux par rapport à la route habituelle.

Très vite, le chemin se révèle infernal. Abrupt et glissant dès le début, il se transformera, au bout d’un quart d’heure de progression, en un véritable parcours d’obstacles. Certains tronçons nécessitent des capacités d’alpinistes et d’autres auraient mérité que nous ayons des machettes. La végétation est luxuriante, les troncs d’arbres en putréfaction barrent par moment le chemin et les lianes arborescentes constituent autant de rideaux végétaux presqu’ impénétrables. Depuis un bon moment déjà, il n’y a plus aucune trace de balisage…mais nous persévérons ! Deux heures plus tard, fourbus, en nage, le visage et les bras couverts d’ écorchures, nous retrouvons, contre toutes attentes, la route « officielle ».
Quelques dizaines de mètres nous séparent encore de l’entrée du site. Curieusement, à cet instant, à cet endroit, rien ne laisse supposer que nous soyons à proximité d’un des plus importants sites archéologiques de l’humanité, et surtout pas cette horrible boutique à souvenirs ou cet hôtel prétentieux dressant sa silhouette incongrue.

Rien d’étonnant à ce que les conquistadores n’aient jamais trouvé, ni même soupçonné l’existence de cette ville fabuleuse. Il faut être le nez dessus pour en prendre en conscience. Même au guichet, à l’ entrée du site, on n’en devine absolument rien : il faut encore contourner une colline par une sente empierrée pour qu’enfin apparaisse dans toute sa démesure la mystérieuse métropole. Mystérieuse de par sa situation -enclavée dans un cirque montagneux difficilement accessible et échappant à tous regards-. Mystérieuse, car aujourd’hui encore les archéologues continuent à échafauder les théories les plus contradictoires quant à la vocation de ce site. Forteresse ?, lieu cérémonial et de sacrifice ? Ultime refuge de l’empereur Manco Capac fuyant l’arrivée des Espagnols ?
Qu’importe, le site impressionne par sa beauté et la douceur de cette architecture « organique » avant la lettre. On imagine l’émotion de l’archéologue qui, le premier, en fit la découverte. L’histoire raconte que lorsque Bingham accéda au site, il y rencontra un couple de cultivateurs qui depuis des décennies l’occupait, et sans peut-être se douter de ce que recelaient ces ruines, continuaient à travailler sur les parcelles en terrasse conçues par leurs fabuleux ancêtres.

A cette heure encore très matinale, il n’y pas encore grand monde dans la cité. Une cinquantaine de touristes tout au plus. On peut encore se perdre dans les rues et les ruelles, les places et les temples sans entendre le brouhaha de la foule, les commentaires des guides et le cliquetis des appareils photos.

Enfin, nous gravissons un promontoire au sommet duquel nous allons rester un long moment. Sans prononcer un mot. Jusqu’à ce que la brume se lève. Jusqu’à ce que soit inondé de lumière l’Intihuatana. Le mégalithe sacré, calendrier solaire surmonté d’une pierre dont les angles indiquent les quatre points cardinaux.

Tout en bas, l’Urubamba continue sa course folle et l’on aperçoit, traversant le pont, les premiers minibus bondés de touristes. Il est temps pour nous de rebrousser chemin…et de quitter ce petit chien qui depuis notre arrivée n’a cessé de nous poursuivre !

Un peu éreintés par l’aller, nous nous offrons le minibus pour redescendre dans la vallée.
Au bout de deux kilomètres à peine, le véhicule tombe en panne.

Retour à pied (par la route, cette fois!) puis baignade dans une petite piscine alimentée par une source d’eau soufrée et merveilleusement chaude.

07 octobre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (10)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée longitudinale de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche


Mercredi 4 novembre (Cuzco/Pérou)

Journée exclusivement consacrée au trajet Juliaca-Cuzco. Un voyage en train d’une lenteur exaspérante. Pour parcourir les 240 kilomètres séparant les deux villes, environ 10 heures sont nécessaires. Ce qui laisse tout le loisir d’apprécier un paysage se modifiant sans cesse. Au fil du trajet, les vallées sombres et profondes succèdent aux hauts plateaux arides et les montagnes couvertes de végétation luxuriante se substituent progressivement aux pics rocheux et enneigés.
Dans le compartiment, quatre dandys locaux n’ont cure de ce décor somptueux. Gominés et élégamment vêtus de costumes sombres, ceux-ci ont entamé une interminable partie de poker qui ne cessera qu’en gare de Cuzco.
Au fil du temps, des cigares et des cigarettes, les mises vont monter et des poignées de billets passeront de mains en mains.
Face à nous, contrastant avec cette scène digne d’un tripot clandestin, une très jolie nonne ne quittera pas son bréviaire des yeux.
Elle est fort jeune et ses larges lunettes solaires lui donnent des petits airs de diva. Une telle créature n’a certainement dû rentrer dans les ordres qu’à la suite d’une rupture sentimentale !
Elle vient, tient-elle à préciser, de rendre visite à sa famille à l’occasion de la Toussaint et regagne à présent le couvent de Santa Teresa.

En gare de Cuzco, alors qu’il fait déjà nuit, la religieuse nous proposera son aide pour trouver un logement décent et bon marché dans le centre-ville. « Pas facile, nous dit-elle, les touristes sont nombreux en cette saison et des arnaques fréquentes ».
Je ne sais si c’est dans le but précisément de protéger les voyageurs d’éventuels escrocs, mais en tous cas, en cette heure tardive, la gare pullule de militaires, le doigt sur la gâchette, inspectant les moindres recoins des quais.


En fait, il ne s’agira pas d’un hôtel à proprement parler que nous conseillera la nonne, mais d’un couvent. Pas celui où elle vit, mais un autre: celui jouxtant l’Eglise Santo Domingo. Un édifice nous dit-elle, dont la particularité est d’avoir été construit sur les fondations…du Temple du Soleil, dont il ne reste de visibles, hélas, que les sous-bassement. Nous nous rendons à l’endroit convenu à bord d’un minuscule taxi (une V.W. « coccinelle ») dans lequel nous sommes parvenus, non sans mal, à faire rentrer tous les bagages, dont les deux valises, le sac et la guitare de la béguine top-modèle!
A l’ entrée de notre future « pension », elle descendra la première pour entamer une longue palabre avec celui qui pourrait en être le concierge. Au bout de quelques minutes, la religieuse nous fait signe que nous pouvons rentrer par une porte dérobée.

Avant de poursuivre son chemin, elle nous fera promettre de lui rendre une visite après demain. Elle tient à nous remettre un objet qui, d’après elle, nous sera d’une aide précieuse pour le reste de notre périple. Sans en dire plus, elle nous salue puis remonte aussitôt dans le petit taxi.
De notre côté, nous prendrons possession de notre chambre -un grand dortoir totalement vide aux murs verdâtres - dont le seul ornement est un immense crucifix. Cela sent la bougie et l’encaustique. Il n’ y a pas de chauffage. Le silence est pesant.
Sous le regard un peu oblique du « concierge », qui n’a pas encore desserré les lèvres depuis notre arrivée, nous déroulons nos sacs de couchage sur les deux lits qu’il nous a désigné. Dès que nous serons installés, l’austère personnage fermera la lumière ainsi que la porte en nous adressant un « buenas noches » glacé ! Ah, la vie monacale dans les Andes !

Jeudi 5 et vendredi 6 novembre.

La découverte de Cuzco sera évidemment liée à la visite d’une série de sites « incontournables ». D’emblée, dès ses premiers pas dans la ville, le voyageur ne peut être que submergé par l’ invraisemblable concentration de couvents, de monastères et d’églises des 16, 17 et 18e siècles. Edifices par ailleurs érigés sur les bases de constructions Incas avec les matériaux récupérés de celles-ci. Ici, plus qu’ailleurs, il était impératif que la Couronne d’Espagne asseye son pouvoir et sa religion de manière ostentatoire dans ce qui constituait, jusqu’à l’arrivée des conquistadores, une des plus puissantes capitales précolombiennes.

Si, dans la ville à proprement parler, les témoignages tangibles de la culture inca se « limitent » généralement à de vastes pans de murs sur lesquels d’ autres constructions plus récentes ont été érigées, il suffit par contre de s’écarter un peu à pied et d’entamer un circuit d’une bonne douzaine de kilomètres sur les hauteurs de Cuzco, pour s’immerger totalement dans le génie architectural des « adorateurs du soleil ».
Parmi ces constructions, qui ne méritent pas toujours le nom de ruines, tant certaines sont dans un état de conservation remarquable, la forteresse de Sacsayhuaman est sans doute une des plus étonnantes avec ses multiples bastions et ses trois enceintes parallèles longues de 360 mètres constituées d’un assemblage parfait de blocs. La plupart de ceux-ci pèse plus de 300 tonnes ! Selon la formule consacrée, il est bel et bien impossible de glisser une feuille de papier, aussi mince soit elle, entre ces blocs tant leur ajustement est rigoureusement calculé. Pourtant pas un de ces blocs ne présente le même volume, ni la même forme. Certains possèdent 5 ou 6 angles, d’autres 8 ou 10. Ils sont de surcroît parfaitement polis et légèrement bombés. Quelques uns arborent également une curieuse excroissance. Il ne s’agit pas d’ un défaut de la pierre mais, dit-on, de la « signature » du tailleur. Une architecture présentant, entre autres propriétés, celle d’être anti-sismique. Au lieu de s’effondrer lors des fréquents tremblements de terre secouant la région, les constructions ont au contraire tendance à se tasser, donc à se stabiliser !

A priori et bien que ce circuit d’une douzaine de kilomètres ne présente pas d’ importants dénivelés -donc de grandes difficultés sur le plan physique- nous mettons pourtant deux journées pour le boucler : à 3500 mètres d’altitude le moindre effort coûte déjà énormément à l’organisme.
Aussi, ce vendredi, sommes-nous littéralement lessivés lorsque nous regagnons la ville et nous rendons au rendez-vous fixé par Sœur Landmann, la religieuse rencontrée l’avant-veille.
Arrivés à la grille du convent Santa Teresa, nous sommes accueillis par la mère supérieure qui, visiblement, a été mise au courant de notre visite.
Un peu onctueuse, la bouche en cul de poule, elle me jauge de la tête au pied puis s’exclame : « Vous êtes exactement l’homme qu’il nous faut ! Nous avons organisé il y a quelques jours une fancy fair pour nos petites protégées de l’orphelinat voisin et nous n’avons personne d’assez grand pour décrocher les décorations».
De fait, des nuées de petits drapeaux, de fleurs en papier et de banderoles, témoins de la fête passée, ont été punaisées au plafond du réfectoire.
Je n’ai pas le temps d’accepter la tâche que me voilà déjà en train de chevaucher un escabeau et tenter de remettre le local en état sous les ordres de la mère supérieure à qui rien n’échappe : « Et cette punaise, là bas, ne l’avez-vous pas oubliée ?…. Faites aussi attention à ne pas écailler la couleur, nous avons fait repeindre il n’y a pas très longtemps…. »
Je ne sais si cela est dû à l’altitude ou à cette position instable et prolongée sur mon piédestal de fortune mais je pense qu’il n’aurait pas fallu que cela dure trop longtemps sans quoi l’on aurait dû m’appliquer sans délai le masque à oxygène.
Au bout d’une demi-heure, le travail est terminé. Nous sommes alors invités à gagner le parloir. Une petite pièce quasiment carcérale. Deux chaises, une fenêtre bardée de barreaux donnant sur le patio du couvent et à l’opposé, deux solides grilles. Grilles séparées l’une de l’autre par un espace d’environ 1,50 mètres. Un genre de no man’s land rendant tout contact « physique » impossible avec le vis-à-vis potentiel.
De l’autre côté de ce dispositif peu engageant : une vaste zone d’ombre d’où nous supposons que notre interlocutrice va émerger.
Quelques minutes vont s’écouler avant que nous n’entendions le bruit d’une lourde porte s’ouvrir, puis celui d’une chaise glissant sur le parquet.
Malgré la pénombre dans laquelle elle se trouve, nous reconnaissons la religieuse du train. En fait, je reconnais surtout ses lunettes fumées et leur monture un peu démesurée. Sœur Landmann entame la conversation par quelques phrases convenues. Elle s’informe de notre bonne santé, des découvertes que nous avons déjà pu faire à Cuzco, etc…
Enfin, elle nous confie son bonheur d’avoir pu faire ce long voyage en train depuis Juliaca en notre compagnie « Je n’étais pas très à l’aise avec ses « mauvais garçons » dans le train, ajoute-t-elle, faisant probablement allusion aux quatre joueurs de poker avec lesquels nous partagions le compartiment .
-Aussi, avant de vous quitter, sans doute pour toujours, je voudrais vous remettre ce petit présent »
Utilisant alors un long manche au bout duquel a été fixée une main en acier, la religieuse nous fait parvenir, à travers les grilles, deux étranges petits objets que nous n’arrivons pas déterminer. Il s’agit de deux cordelettes au bout desquelles est soudée une petite pochette de plastique transparent. A l’intérieur de celle-ci, un fragment d’étoffe brunâtre est enchâssé. « C’est une petite relique, nous dit Sœur Landmann. C’est un morceau du scapulaire d’une sainte vénérée au Pérou. Mettez-le autour de votre cou et lorsqu’un danger apparaît, serrez-le très fort contre vous ». C’est un talisman.
La visite est déjà terminée. Sœur Landmann nous bénit puis disparaît définitivement dans la pénombre du couvent.















(Cuzco, plaza de armas)

02 octobre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (9)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée longitudinale de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche...


Lundi 2 et mardi 3 novembre (Juliaca/Pérou)

Un camion, un bus, un train. Des heures d’attente et deux nuits éprouvantes. Accéder à Cuzco, décidément, cela se mérite.
Ce lundi, nous reprenons le chemin d’ Arequipa. A bord d’un camion, puis d’un bus dont une partie des sièges, en cours de route, va se détacher. La route est tellement chaotique et les chocs violents que nous décollons littéralement du sol. Ma tête heurte plusieurs fois le plafond du véhicule. Le chauffeur est hilare. Sa radio diffuse une émission humoristique dont nous ne parvenons malheureusement pas à saisir toutes les subtilités.
A Arequipa, nous récupérons le reste de nos bagages laissés à l’hôtel deux jours auparavant et nous dirigeons sans tarder vers la gare routière.
Bien que l’heure soit déjà fort avancée, le marché bat toujours son plein. Nous en traversons les allées encombrées de charrettes à bras, de cageots de fruits, de marchands de tissus, d’une foule de chalands bigarrés et de bonimenteurs beuglants.
Dans la cohue, je perds l’équilibre et heurte un passant lourdement chargé. A l’extrémité de chacun de ses bras se trouve une tête de vache sanguinolente. L’homme les maintient fermement comme s’il s’agissait de valises mais dont les poignées seraient…les orbites de l’animal.
Avant d’ enfourner les bagages dans la soute, nous avons juste le temps d’ acheter deux grands sacs de jute -genre sacs à pommes de terre- dans lesquels nous allons fourrer nos sacs à dos. Il s’agit là d’une astuce parfois efficace permettant de détourner l’attention des voleurs toujours à l’affût de bagages de touristes. L’inconvénient réside dans le fait que, désormais, notre barda ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de tout le monde ici. Nous devrons rester vigilants toute la nuit et vérifier à chaque arrêt qu’ aucun passager n’emporte nos sacs par mégarde.
Le convoi s’ébranle alors que la nuit est déjà tombée.
Le bus a à peine quitté les faubourgs d’Arequipa qu’un barrage le contraint à arrêter. On ne distingue pas grand chose dans l’obscurité. Juste une voix, bien distincte, parvient jusqu’à nous : « Y-a-t-il des étrangers ici ? ». Cinquante index pointent alors dans notre direction : « Sí señor, hay dos alla » (« Oui, il y en a deux là ») en nous désignant.
Je blêmis. J’ai soudain en mémoire l’image de ces deux touristes extraits sans ménagement d’un bus comme le nôtre et abattus, il y a peu, par la guérilla maoïste sous le seul prétexte qu’il étaient occidentaux.
Je voudrais être, en ce moment, une souris, un insecte, n’ importe quoi, quelque chose d’invisible.
J’entends un homme s’approcher mais j’évite jusqu’à l’ultime instant de croiser son regard.
C’est un carabinier. Sa tenue a l’air tout à fait réglementaire. Un képi, un uniforme olivâtre, une arme de service bien rangée dans son étui. Il nous demande de le suivre. « Une simple vérification, dit-il, rassurant ». Nous l’accompagnons jusqu’à son bureau. Un réduit en tôle ondulée à peine plus grand qu’une guérite. Il inspecte nos passeports, nous dévisage à tour de rôle, compare les photos apposées sur les documents et conclu : «¡ Bueno, me parece en orden. Que le vaya bien y mucha suerte ! (« ça me paraît en ordre, que cela aille bien pour vous et bonne chance »).
Nous rentrons dans le bus les jambes flageolantes, prêts à défaillir.

Le reste du trajet (290 km), jusqu’au terminal de Juliaca, se déroulera sans anicroche. Il est cinq heures du matin lorsque nous y arrivons. Il fait un froid de canard. Il est trop tôt pour chercher un hôtel - notre correspondance (un train cette fois) pour Cuzco, ne part que demain- alors nous nous calfeutrons l’un contre l’autre sur un banc de la gare routière en buvant des thés que les marchands ambulants proposent aux abords de la station.
L’ambiance est étrange dans cette petite ville. Il y règne comme un parfum oriental. La musique diffusée par les hauts-parleurs résonne étrangement avec ces complaintes aiguës et aigrelettes où dominent les violons et les clarinettes. Des nuées de pousse-pousse faisant office de taxi complètent enfin cette image aux reflets vaguement asiatiques.
La journée se passera sans événement notable. Si ce n’est que depuis le début de notre voyage, il pleut pour la première fois. Les habituelles averses printanières, nous dit-on.
Pour nous distraire, nous passons l’après-midi au cinéma. Un de ces cinémas, comme autrefois chez nous, avec son parterre, ses 1er et 2e balcons, ses baignoires et tout en haut les pigeonniers. Tout est rempli lorsque nous y entrons. On y fume, on y mange ; on y boit et l’on s’apostrophe. Ca rigole et ça chahute. Jusqu’à ce que le générique du début de séance remette un peu d’ordre dans le chaos. Bien que nous soyons installés près de l’écran, nous ne voyons pas grand chose du film. Les spectatrices, assises devant nous, ont toutes gardé leur chapeau boule.
Le film du jour est un thriller politique hollywoodien fort justement intitulé « Mission dans les Andes » (The hour of the assassin, dans la version américaine) avec en vedette Robert Vaughn et Eric Estrada. Même si le scénario à l’air un peu confus, nous comprenons que l’action est sensée se passer dans un pays imaginaire d’Amérique latine (Le San Pedro) où le nouveau président élu veut instaurer la démocratie. Des militaires corrompus associés à un mouvement radical de gauche ( !) veulent l’en dissuader et pour ce faire, engagent un tueur. C’était évidemment sans compter sur un brillant agent de la CIA (Robert Vaughn) qui déjouera le stratagème et sauvera le président –et la démocratie- in extremis. La particularité de ce film est qu’il a, en grande partie, été tourné à Lima, à Cuzco ainsi qu’à Arequipa dont nous reconnaissons certains quartiers où nous nous promenions encore la veille. Pour la petite histoire, le réalisateur de ce film est un certain Luis Llosa, le neveu du grand écrivain péruvien Mario Vargas Llosa !!!