20 février, 2008

Chili, des photos, des légendes...(1)

Ça y est, c'est reparti pour un nouveau carnet. Entièrement consacré au Chili. Il est le fruit de la synthèse de trois "journaux de voyages" réalisés en 89/90, 91/92 et 2002. Les textes ne sont pas retranscrits de manière chronologique mais de manière géographique: du Nord vers le Sud.

Arica et le Grand Nord chilien

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Il a fallu 28 heures en bus depuis Santiago pour parvenir à Arica. Un peu plus de deux mille kilomètres séparent la capitale du Chile de la ville la plus « nordique » du pays. Arica compte environ 140.000 habitants (chiffre de 91) et est capitale de la province du même nom.

Il est 23 heures lorsque nous débarquons à moitié groggys du Pullman climatisé.
La nuit est tiède et silencieuse. La circulation chaotique de la journée s’est semble-t-il diluée dans les contours informes d’une banlieue de tôles et de cartons.
Hormis quelques colectivos (taxis) poursuivant leur quadrillage immuable, les rues, en dehors du périmètre central sont plongées dans une insondable torpeur.
Derrière les volets mécaniques baissés à moitié, les patrons de café s’épongent le front. Ils clôturent les comptes de la journée en buvant de la bière un peu fade.

Au sommet du morne surplombant la ville, il y a une forteresse démantelée et un drapeau qu’une légère brise océane fait mollement claquer. Il n’existe pas d’endroit dans toute la cité d’où l’on ne peut apercevoir cette énorme dune affalée tel un vieux garde assoupi entre le Pacifique et la « Ville du printemps éternel ». Ici personne n’ignore l’histoire de cette citadelle des sables. Les barbaries échangées le 7 juin 1880 lors de sa prise par les troupes chiliennes, alors en guerre contre le Pérou, demeurent dans la geste nationale parmi les épisodes les plus saillants. A la pension Balkis, la propriétaire septuagénaire et sa servante à peine plus jeune ne se font guère prier pour évoquer cet événement. Une bataille d’une cinquantaine de minutes à peine ( !) qui permit au commandant chilien José San Martin et ses troupes de prendre possession de la citadelle, et par la même occasion de se rendre maître de la région, jusqu’alors faisant partie du Pérou, et surtout permettre au Chili de régner sans partage sur ces régions riches en nitrate.

(Au sommet du Moro de Arica, juste après sa prise par les troupes chiliennes en juin 1880)

A la pension Balkis les chambres sont minuscules.
Faiblement éclairés, les murs révèlent par leurs graffitis de fréquentes et fiévreuses étreintes. Notre chambre doit d’ailleurs connaître quelques habitués à en juger par le nombre d’inscriptions égrillardes au bas desquelles les mêmes signatures se retrouvent avec régularité, notamment celle de l’étonnant « Marco ». L’homme qui de son propre aveux « fait rugir les femmes de plaisir ».

Du balcon de notre chambre on aperçoit la ville sous un de ses angles les plus désolants. Maisons raccommodées, ajoutes informes, toitures sommaires où s’ajustent pêle-mêle d’anciens panneaux publicitaires, des tonneaux déployés, des morceaux de plastique et des bouts de planches. Dieu merci, pour les habitants, il ne pleut guère souvent dans la région. La propriétaire de la pension reconnaît elle-même n’ avoir pas souvenance de la moindre ondée, si passagère fût-elle au cours de ces trente ou quarante dernières années.

Sans mettre en doute sa mémoire, du moins en ce qui concerne les événements météorologiques, le souvenir de la dictature ne semble par contre pas avoir affecté outre mesure la vieille logeuse. Ainsi cette affichette, presqu’ anodine collée près du téléphone et qui témoigne en deux lettres ses convictions : Si !. Il s’agit du « Oui » -mot-symbole d’une vaste campagne orchestrée par l’état- qu’il s’agissait d’exhiber pour marquer sa sympathie et surtout sa volonté de voir se poursuivre la politique dictée par le gouvernement de Pinochet.
La vieille dame qui un jour apposa ce feuillet n’aura peut-être été sensible qu’au versant « honorable » d’un programme promettant à chacun le maintien de l’ordre et de la sécurité.

Aujourd’hui, deux ans après les élections et la victoire de l’opposition ; comme s’il s’agissait de donner raison aux craintes de l’homme de la rue et de légitimer ses appréhensions, une certaine presse est plus que jamais prête à relayer les faits-divers brutaux et sordides qui selon les éditorialistes locaux n’étaient il y a peu que l’apanage des nations dissolues et décadentes.

Ce matin, un horrible méfait faisait la une d’un de ces tabloïdes à grand tirage. On y relatait le meurtre d’une jeune femme dont seuls le tronc et une jambe avaient été repêchés dans les eaux d’une rivière proche. Une agression commentée de la façon suivante : « Le corps de la victime, par sa blancheur et les sous-vêtements qu’elle portait, ne pouvait appartenir qu’à celui d’une fille de la nuit, plus accoutumée aux éclairages suggestifs des cabarets qu’à la vie au grand air de ces femmes travaillant aux champs ou quelqu’autres activités dignes d’une bonne mère de famille ». Et le « journaliste » d’ajouter comme ultime argument : « Les ongles de l’unique pied découvert étaient soigneusement vernis et manucurés. (sic)» (d'après carnet de voyage de novembre 91)

(Arica, l'église San Marco, inaugurée en 1876. Une construction entièrement en acier (sauf la porte!) préfabriquée dans les ateliers Gustave Eiffel)

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