16 mars, 2007

Carretera austral (6)

Mercredi 10 décembre 1997
Une équipée familiale et vélocipédique à traves la Patagonie chilienne

Villa Vanguardia- Las Juntas

Une étape d’environ 45 kilomètres, relativement pluvieuse mais entrecoupée de quelques éclaircies.
Las Juntas est encore un de ces petits villages de « Western ». Il n’y a pour ainsi dire qu’une seule rue bordée de quelques magasins, de deux ou trois pensions pour voyageurs, de débits de boissons rustiques et de modestes maisons en planches.
L’histoire de la région apprend que les premiers colons sont arrivés ici dans les années cinquante par la mer puis par l’embouchure du rio Palena. Le village ne s’est créé, à proprement parlé, qu’ à partir de 1983 avec le percement de la Carretera austral.
Nous logeons dans une pension dont le père de la patronne est précisément le fondateur du village. Un octogénaire aux yeux pétillant de malice, parlant posément et doté d’un raisonnement sans faille. C’est un homme qui a tout fait dans sa vie. Il a construit des maisons, élevé des chevaux, déboisé des hectares de terrains.
Ses mains sont larges comme des pelles !
Je le regarde. Il est assis dans un vieux fauteuil en rotin. Ses yeux gris-bleus fixent le lointain, là- bas vers ces montagnes enneigées qu’il a sans doute mille fois parcourues lors de chevauchées que l’on devine épiques.


C’est extraordinaire d’imaginer que nous nous trouvons dans un village qui a à peine 13 ans d’existence ! C’est un peu comme si l’on assistait à sa naissance. On perçoit les prémices d’une organisation balbutiante, les rues sont à peine tracées, l’égouttage encore inexistant et les commerces souvent mal achalandés mais l’histoire est en marche, on la sent battre, elle est palpable Dans la rue, on voit des hommes clouer, raboter, scier…. Des petites maisons se dressent. Des lieux de vie sont en train de se former sous nos yeux. Des familles vont se fonder, des enfants vont naître, des rêves vont prendre forme...

(une roue de vélo transformée en antenne)

(le village s'éveille)

Jeudi 11 décembre 1997

Au Chili, cette journée sera fériée pour cause d’élections sénatoriales et tous les commerces devront être fermés par ordre de police. La patronne de notre pension-restaurant ne dérogera pas au règlement. « Aujourd’hui vous devrez vous débrouiller sans moi, dit-elle. Après le vote nous partons faire une grillade chez des amis, nous rentrerons tard le soir ». Pour conclure, l’ hôtelière nous donnera les clés de son établissement et celles des cuisines dont nous serons les seuls maîtres pour un soir.
Nous consacrerons la journée à une petite randonnée en vélo jusqu’au lac Rosselot au bord duquel des vaches brunes et blanches s’ébrouent gaiement.
Rencontrons un cycliste français – il fait le chemin en sens inverse et remonte vers Chaiten-
Passons un moment ensemble tout en échangeant quelques impressions et conseils vélocipédiques.

Vendredi 12 décembre 1997

Las Juntas – Puerto Puyuhuapi

Une très belle étape d’environ 50 kilomètres. Une partie de ce tronçon longe le grand lac Risopatron dans le parc national Queulat. La température et la lumière sont cette fois idylliques. Les gens du cru nous disent pourtant que cette chaleur n’est pas habituelle « C’est sans doute la faute au Niño s’exclament certains… »
Puerto Puyuhuapi est un village faisant face au Seno Puyuhuapi, un fjord pénétrant profondément à l’intérieur des terres. Le tracé des rues est assez désordonné. On y voit cependant quelques grandes maisons de maîtres en bois comptant parfois deux ou trois étages. Maisons parfois précédées par de beaux jardins parfaitement entretenus. L’origine de ce village remonte à 1935 lorsque 4 jeunes colons allemands (des Sudètes) décidèrent de s’installer dans ce lieu qui n’était alors qu’une forêt inextricable. On raconte que ces jeunes aventuriers, 4 frères, avaient été inspirés par la lecture des récits de l’explorateur Hans Steffen (auteur dans les années 20 d’un ouvrage intitulé « La Cordillère patagonique et ses principales rivières »). En fait, ces 4 hommes étaient surtout des « éclaireurs » chargés d’inspecter la région pour le compte de nombreuses familles restées en Bohème et Moravie (alors occupées par la Tchécoslovaquie) désireuses de refaire leur vie dans des conditions meilleures. Un projet auquel la guerre mit cependant un terme. Les courageux pionniers décidèrent néanmoins de rester et parvinrent à fonder une exploitation agricole qui devint, dit-on, prospère et subsista d’ailleurs jusqu’au début des années septante. Epoque, où pour d’obscures raisons, ils furent expropriés et leurs terres divisées entre diverses communautés de la localité.
Quant à nous, il était temps de trouver un refuge pour la nuit ! C’est les carabiniers qui nous indiqueront une prairie leur appartenant. Nous nous y installerons non loin d’un hangar qui jadis faisait office d’écurie. Aujourd’hui, les pandores y entreposent leur réserve de kérosène.
Prenons le repas du soir dans un petit restaurant où nous serons les seuls clients. La patronne nous servira son unique menu : saumon, salade, pommes de terre et un excellent vin blanc « Type Rhin »,selon les termes de la serveuse.

(Puyuhuapi, la nuit)


Samedi 13 décembre 1997

Journée d’ « exploration » à Pto Puyuhuapi et tentative –infructueuse- de « pêche à la cuiller » sur le môle. En fait, un poisson a bel et bien mordu, mais est parvenu, Dieu sait comment, à casser la ligne et disparaître avec l’appât, la cuiller et l’hameçon. Ca devait être un fameux costaud !
Nous rencontrons un habitant du village. Un allemand de la 3e génération, précise-t-il. Il est propriétaire de la station service et d’un petit magasin. Il n’est pas d’humeur à travailler cet après-midi, nous dit-il. « Si ça vous intéresse on peut faire une petite partie de pêche ensemble. Je n’ai qu’à fermer la pompe et le magasin ! »
Nous grimpons dans son pick-up et partons vers un lieu poissonneux du lac. En route, il charge encore quelques enfants qui s’installent aussitôt dans la benne.
Arrivé sur les lieux, l’Allemand dégage une barque et nous invite a y prendre place.
Je prends les rames et les enfants s’occupent des cannes à pêche. Ils parviendront à prendre deux petites truites aux beaux reflets irisés, on appelle d’ailleurs cette variété « truite arc-en-ciel ». Nous ferons encore une halte, au pied d’une petite cascade sur la rive est du lac.
Le temps se couvrira de nouveau en fin de journée.


Dimanche 14 décembre 1997

La journée commence une fois de plus avec un temps détestable. Au programme: de la pluie, du vent et du brouillard. Nous envisageons même de prendre un bus jusqu’à l’étape suivante. Mais le temps de démonter la tente et de tout remettre en place sur les vélos, voilà que le ciel se dégage totalement. Nous enfourchons donc nos bicyclettes pour une courte étape (à peine 30 kilomètres), jusqu’au Ventisquero Colgante. Un imposant glacier coincé au sommet d’une falaise. Installons notre tente sur un emplacement de la CONAF (Corporacion Nacional Forestal, l’organisme d’état chargé d’ administrer les ressources naturelles et les réserves du pays). Le prix de l’emplacement est habituellement de 7000 pesos la nuitée mais le garde-parc n’est pas trop regardant et ne nous fera pas payer. En échange, nous partagerons avec lui notre maigre pitance et le carton de vin acheté la veille à Puyuhuapi.
L’endroit est idéal pour camper, il y a un petit toit pour s’abriter en cas de fortes pluies et une installation pour le feu et les grillades. Autour de nous des petits Tapaculos (un genre de rouge-gorge) viendront tout au long de la soirée grappiller les miettes de notre repas.
Durant la nuit, le silence sera ponctué, à intervalles réguliers, par le bruit sourd et inquiétant des pans de glace se détachant du sérac.


(El ventisquero colgante/Le glacier suspendu)
(Lac Puyuhuapi)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je vais me répéter : c'est toujours aussi bien !
On sent vraiment une progression au bout du monde, dans une nature impétueuse, où les villages viennent de naître, et où la route vient d'être tracée.

Anonyme a dit…

Je reviens pour te conseiller des lectures :
"Le monde du bout du monde", de Luis Sepulveda, qui se passe dans ces terres australes chiliennes.
Et les livres de Jean Raspail, notamment "Tierra del Fuego" et "Qui se souvient des hommes ?" (ce dernier porte sur les Indiens disparus de la Terre de Feu).
Meilleures amitiés et à bientôt

Anonyme a dit…

"Le monde du bout du monde" est effectivement une excellente lecture! (Je l'ai lu il y a quelques années). Je ne connais pas les deux ouvrages de Jean Raspail auxquels tu fais allusion. Je vais me les procurer de ce pas. Merci pour l'info!