08 juin, 2008

Chili, des photos, des légendes...(15)

Rodéo à Campo de Ahumada (1/2)


Le bus vient de nous laisser au terminus d’El Cobre, dernier hameau desservi par la ligne rurale en provenance de Los Andes. A partir d’ici, il n’ y a plus qu’à compter sur notre bonne étoile – ou sur nos pieds- pour parvenir à Campo de Ahumada. Comme le chauffeur nous l’a conseillé, nous avons traversé le petit pont enjambant le torrent pour attendre un éventuel véhicule qui nous charge et nous fasse parcourir les 20 derniers kilomètres… Et il y a une heure déjà que nous sommes là. Jusqu’à présent, seul un homme est passé par ce chemin. Un monsieur déjà âgé, les cheveux blancs, un peu voûté et ahanant sous le poids de deux lourdes valises. Je le reconnaissais. Il était parmi les passagers du bus en provenance de Los Andes et était descendu deux ou trois arrêts avant nous.


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L’homme s’est arrêté un moment à notre hauteur, pour bavarder un peu et sans doute aussi pour reprendre son souffle. Depuis de longues années, il sillonnait la région pour vendre, de porte en porte, du tissu, un peu de mercerie et du linge de maison. Sa clientèle était essentiellement composée d’agriculteurs. A Campo de Ahumada cependant, il n’ y allait plus jamais. Il disait qu’il y avait trop peu de monde là-bas et que, maintenant, l’âge venant, il n’avait plus la force de grimper là-haut à pied.
Le marchand nous laissa sur ces paroles et nous souhaita « beaucoup de chance ».

Plutôt que d’attendre davantage un hypothétique véhicule, nous avons finalement décidé de nous mettre en marche malgré la chaleur accablante.

A bout de chaque courbe, nous espérions que le relief allait s’aplanir, ne fût-ce que quelques centaines de mètres, histoire de reprendre un peu des forces, mais à chaque fois le chemin se redressait davantage. Malgré nos chaussures de marche, nos chevilles se tordaient de plus en plus souvent sur la rocaille et les éboulis.

C’est alors qu’une petite fille, surgie de nulle part, apparut en sautillant gaiement à notre rencontre. Comme nous lui demandions si la route était encore longue, elle nous répondit qu’elle ne savait pas exactement, mais avant de disparaître, comme pour s’excuser de n’avoir pu nous répondre, elle nous tendit une des deux oranges qu’elle tenait en ses mains. Un geste sans doute de bon augure puisque c’est à ce moment, comme un mirage, que -loin en contrebas- une volute de poussière s’éleva dans le ciel. Disparaissant puis réapparaissant sans cesse au détour de chaque lacet, le nuage grossissait et finalement, la rumeur d’un moteur devenait perceptible. La mécanique devait souffrir. Le véhicule devait aussi être vieux ou alors très chargé. Lorsque le petit camion rouge passa à notre hauteur, il s’avéra qu’il était non seulement très vieux mais aussi…très chargé. Ce qui n’empêcha pas le chauffeur et son épouse de ralentir et de nous crier que si nous voulions grimper derrière, il fallait faire vite car le moteur avait une fâcheuse tendance à s’ « étouffer » et à ne plus redémarrer. A peine coincés entre deux sacs de ciments et divers matériaux de construction, nous redémarrions sans attendre.

Après une heure de route exécrable, aussi pénible pour les essieux du véhicule que pour les reins des passagers, la camionnette s’immobilisait enfin.
Le cabanon devant lequel nous étions arrêtés était la propriété de « notre » chauffeur. C’était une construction assez sommaire et rustique qu’il avait acquise en même temps que le vaste terrain sur lequel elle était érigée. Cet ancien fenil leur ferait bientôt office de résidence secondaire. Les terres alentours, seraient quant à elles d’ici peu plantées d’amandiers et d’oliviers. Du moins, tel était le voeux le plus cher de ce chauffeur de bus de Santiago pour qui la pollution et le stress de la ville devenaient intolérables. Il avait en outre l’intention, dès l’heure de la retraite venue, de consacrer une partie de son domaine à la création d’un camping. Notre présence ici était peut-être un heureux présage de réussite pour cette future entreprise. En tous cas, nous serions aujourd’hui les tous premiers campeurs à jouir de ce paysage tendrement sauvage et bucolique.

-Evidemment, une sérieuse amélioration de la voirie accédant au site serait un gage supplémentaire de succès, mais dans ce domaine, rien n’est encore prévu avant plusieurs années se lamenta le futur patron de camping !


Au fil de la conversation, nos hôtes devaient encore nous avertir que le rodéo de Campo de Ahumada –but cette dure randonnée montagnarde- n’était vraiment pas extraordinaire.

-Vous savez, c’est vraiment des « sauvages » là- bas. Il y en a même qui ne sont jamais descendus en ville de toute leur vie.
-Par contre, si vous voulez vraiment voir de beaux rodéos, c’est à Rancagua qu’il faut aller…

Cette phrase que nous avions déjà entendue la veille chez les Villegas n’entamait pourtant pas notre moral. Nous irions, coûte que coûte, et à pied, puisque personne ne voulait nous y conduire. Le couple accepta toutefois que nous plantions notre tente dans le jardin.

Après une heure de marche sur les contreforts escarpés de la montagne, nous parvenions enfin à une sorte de vaste terrasse herbeuse parsemée çà et là de bosquets, de maquis et de fleurs sauvages. En y regardant de plus près, on apercevait aussi quelques maisons, une petite école, des fenils et des enclos disséminés sans le moindre souci d’organisation urbanistique. Chaque propriétaire semblait avoir obéit à des règles intuitives consistant non pas à investir un paysage mais à se fondre en lui sans en perturber l’équilibre originel.

En fait, ce dimanche, le véritable cœur de Campo de Ahumada était la « media-luna » (la demi-lune). Une arène rustique, semi-circulaire faites de mœllons, de cailloux et de boue séchée. Elle était fermée par une légère palissade en bois derrière laquelle se trouvait un corral où bientôt allait être regroupé le bétail sélectionné pour la compétition.

Pour l’instant l’heure était toujours aux préparatifs : ici, des garçons de ferme humidifiaient le sol avant l’épreuve. Plus loin, un paysan testait une à une les ampoules de la guirlande qui illuminerait le bal de ce soir. Pendant ce temps, les femmes chargées des grillades attisaient énergiquement les braises rougeoyantes. Un peu à l’écart, deux chèvres dépecées attendaient au bout d’une corde attachée à une branche. Les chiens, bien dressés, feignaient se désintéresser de cette tentation à portée de museau.

Là-bas encore, un petit groupe de costauds terminait de tendre la bâche sous laquelle les musiciens viendraient tout à l’heure animer la soirée. Les tables, pour l’instant encore dispersées dans la prairie, avaient été empruntées à l’école voisine. D’ailleurs, nous avait-on dit, si le rodéo de ce dimanche engendrait quelques bénéfices, ils serviraient à acheter du matériel scolaire et à rénover autant que possible l’école.

Pour l’instant, seul le bar –une planche posée sur des tréteaux- était déjà opérationnel. Depuis les années que ce rodéo est organisé, c’était toujours la même personne qui en était responsable. Atteint d’ulcères à l’estomac, il était le seul parmi ses congénères à ne pouvoir absorber la moindre goutte de boisson alcoolisée. Le barman idéal, en somme !

(d'après carnet de voyage de décembre 91)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

En venant de lire ce nouvel épisode de ton récit, je repense à ce que tu m'écrivais l'autre jour (que ton blog a fort peu de visites mais que tu t'accroches, "contre vents et marées").
Je viens donc de lire ce dernier épisode, avec émotion, avec intérêt aussi.
Votre détermination, votre acharnement même, à atteindre ce lieu perdu où se déroulera une fête "vraie", à l'écart des médiatisations...
Les photos accompagnent admirablement le récit.
Ton blog mériterait assurément d'être mieux connu. Peut-être pourrais-tu en donner l'adresse à différentes personnes passionnées par l'Amérique latine ?
Bien amicalement,

Anonyme a dit…

Là est précisément le problème!
Comment assurer une meilleure visibilité à ce blog? Mais encore faut-il qu'il y ait un public intéressé par ce genre de récit? (Là, parfois, j'ai comme un gros doute )
:-)
En tous cas, merci pour ta fidélité à ce blog,
Amicalement,