15 décembre, 2006

Mission à Gourcy (7)

Mardi 12 juillet 2005

Le taux d’humidité est encore bien élevé ce matin. Un détail me le fait remarquer : les cigarettes achetées la veille se sont tellement ramollies que l’on dirait un paquet de mélasse. Inutilisables évidemment. C’est peut-être mieux comme ça après tout. Ici, j’ai d’ailleurs remarqué que les gens ne fumaient pratiquement pas ou si peu. Hier après-midi, à la terrasse du café de la place, j’avais proposé une cigarette à la personne avec qui je m’étais attablé. Avisant longuement le paquet, cette dernière finit par décliner l’offre : « C’est gentil, me dit-il, mais j’en ai déjà fumé une hier». Pour clôturer cette parenthèse malsaine et tabagique, j’ajouterai encore qu’un paquet de cigarettes coûte ici en moyenne 700 Fr. CFA soit 1,06 euros . Ce qui représente exactement le prix d’un traitement préventif efficace et durable contre le paludisme, maladie endémique en ce pays.
Cette journée commence sur les chapeaux de roues : A peine notre petit-déjeuner avalé, une personnalité du village, que nous avions déjà brièvement entr'apercue, fait son apparition. Il s’agit du tailleur du village. Il porte sous le bras un colis à mon attention emballé dans un épais papier gris. C’est mon nouveau costume. Cette fois pas question de se débiner. Il me demande de l’essayer instamment, histoire de vérifier si, cette fois, le vêtement est correctement taillé. Je m’éclipse dans la chambre et constate qu’il s’agit toujours de ce même tissu imprimé à l’effigie de la vierge. Je n’ai pas d’autre choix que de l’enfiler et de constater…que le pantalon est cette fois bien trop long. Tant bien que mal, je le remonte le plus haut possible, quasiment jusqu’à la poitrine, histoire que le bas ne traîne pas par terre. Je sors de la chambre et ne peut que m’exclamer auprès de l’artisan que cette fois, c’est impeccable. Il l’air un peu dubitatif mais accepte finalement mes compliments. Je porterai finalement ce costume jusqu’à la fin de notre séjour à Gourcy.
La matinée de ce mardi sera de nouveau consacrée à une série de rencontres avec les membres du conseil communal. Rencontres ayant pour but de dégager un projet d’entraide qui tienne la route. Une tâche particulièrement complexe étant donné l’immensité des besoins. En fait, on ne sait trop par quel bout commencer. Pour utiles qu’elles soient, ces réunions sont néanmoins quelque peu fastidieuses tant les introductions protocolaires sont longues. Même s’il y a trente personnes dans l’assemblée, il est habituel que chacun commence par se présenter. On décline ses noms, ses prénoms, ses qualités, etc… Une fois les présentations d’usage accomplies, vient alors le moment des discours de courtoisie et d’accueil où chaque orateur manifestera sa gratitude et son respect face aux visiteurs. C’ est la tradition qui le veut mais ça prend un temps fou. Aujourd’hui, je sens que ça rend particulièrement nerveux mon compagnon de voyage. En fait, il m’informe discrètement qu’il souffre depuis hier d’une diarrhée particulièrement violente et de ce fait a très mal dormi. Je suppose qu’il s’agit des crudités englouties lors du repas au presbytère qui font leur effet.
A tel point que pour la deuxième réunion prévue avec les forces vives de l’entité cet après-midi, Michel me demande de le remplacer au pied levé. Cela ne va pas être « coton », étant donné que je n’aurai pas le temps de potasser l’épais dossier technique que Michel a préparé en vue de ces réunions.
L’ heure de la réunion venue, histoire de ne pas trop perdre la face devant l’auditoire venu en nombre, (il y des commerçants, des membres d’associations diverses, un représentant des transports en commun et d’autres encore que je ne parviens pas à identifier) j’improvise une sorte de long monologue consacré à l’importance de l’amitié qui se forge entre les peuples grâce, notamment, aux échanges culturels. Le Maire de Gourcy n’avait-il pas eu cette phrase remarquable dès notre arrivée : « Avant votre aide, nous avons d’abord besoin de votre amitié ».
Je m’engage donc à essayer de faire connaître notre Commune à l’auditoire en évoquant, sans doute fort maladroitement, le contexte économique et historique dans lequel s’inscrit Oupeye et la Basse-Meuse ! Je me rend vite compte du surréaliste de la situation lorsque j’aborde des thèmes tels que l’assassinat de l’évêque St Lambert et ses commanditaires, la traîtresse Alpaïde et son concubin Pépin de Herstal, l’enterrement légendaire de d’ Artagnan au lieu-dit les « Hauts de Froidmont », etc… Mais l’auditoire semble intéressé -ou il est très poli- puisque la fin de mon exposé est marquée par une salve applaudissements enthousiastes. Je ne suis pas vraiment sûr d’ avoir fait grand chose pour la coopération au développement mais en tous cas, je pense avoir gagné la sympathie d’un certain nombre de Gourciens.
Je passerai le reste de l’après-midi seul, à découvrir la campagne environnante. Non loin de l’auberge un groupe de femmes est occupé à semer le mil. Je tente d’entamer la conversation sans trop de succès. Celles-ci ne parlent vraisemblablement que le moré. Elles acceptent cependant que je réalise quelques photos. L’une d’elles me propose aussi de m’essayer au maniement de leur outil. Un genre de pioche au manche très court utilisée pour creuser la terre avant le semis. C’est extrêmement difficile, de par ce manche très court, on est obligé de se plier quasiment en deux, de plus, et bien que nous soyons en période de pluie, la terre demeure dure comme le béton. Un vrai travail de forçats que ces femmes exécutent avec le sourire et en chantant. Je continuerai mes pérégrinations de ce jour à travers le maquis jusqu’à un modeste barrage. Rencontres avec des jeunes bergers et leurs chèvres, des groupes de jeunes filles se rendant au village et un homme qui me met en garde contre un caïman qui rôderait dans le coin. Je fais demi-tour et passe un moment à la terrasse de la place. De nouveau ce même ballet de vaches et d’ânes revenant des champs, ce même soleil pourpre, cette terre poussiéreuse et rouge et à la radio, cette fois, c’est une merveilleuse chanson de Bil Aka Kora que l’on diffuse. C’est étrange, je sens que je tombe amoureux de ce pays.
Je sors de ma rêverie lorsque la voiture du Maire s’arrête à ma hauteur : « On a retrouvé vos bagages à Ouagadougou, me dit-il victorieux, on va venir vous les apporter ce soir, vous voyez, tout s’arrange toujours ici ! ».
(gourcy, un grenier)
(gourcy, nids de tisserins)
Nouvelle rubrique musicale ici (en ligne depuis le 13/12)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Voilà la suite du "costume". Tout est bien qui fini bien!

Amusantes aussi les anecdotes concernants la cigarette!

Les photos sont magnifiques!

Anonyme a dit…

La photo des jeunes filles dans la rivière, en particulier, est splendide !

Anonyme a dit…

Cela peut paraître curieux, mais je trouve le témoignage sur (contre) la cigarette très touchant. Une cigarette une dose de médic anti paludisme. Cela laisse sûrement très rêveur.

OUtre l'intérêt du récit de voyage (mission), les photos sont très belles. Les arbres qui se découpent sur le ciel! J'aime énormément.

J'avoue que ça me fait penser aussi à autre chose, à quelqu'un d'autre que moi-même. Ouf !