23 mai, 2007

Carretera austral (15)

Dimanche 4 janvier

Une équipée familiale et vélocipédique en Patagonie chilienne

Puerto Guadal

« Journée découverte » à travers le village. Très vite découvert !
Il y a l' "avenue" principale avec la mairie, quelques rues perpendiculaires et une grande place herbeuse avec, en son centre, le buste d’un honorable militaire du temps jadis. Curieusement son nom n’est même pas indiqué. Ou alors le vent l’a effacé ! Sur cette même place -où sont éparpillés quelques jeux d’enfants- deux paysans viennent de faucher et sont en train de charger l’herbe sur une charrette branlante tirée par des bœufs. Nous pique-niquons là en regardant cette scène bucolique. Pablo, de son côté, s’en ira bien vite essayer les balançoires.
Nous tentons une petite sieste sous la tente. En vain : il fait intenable de chaleur sous la toile cet après-midi. Toujours ces contrastes climatiques imprévisibles !
Nous repartons en balade et sommes attirés cette fois par un café d’où s’échappent quelques bouffées musicales. Un jeune homme, seul client de l’établissement, s’essaie avec plus ou moins de bonheur à l’orgue électronique en chantant comme il peut des rengaines du cru. Nous ne prenons pas la peine de passer commande tant le bruit devient insupportable : dés notre arrivée, le musicien a cru bon d’ augmenter considérablement le volume de son instrument. Sans doute pour impressionner ces trois auditeurs inespérés.
Passons la soirée au Supermercado Plaza. Certes, l’endroit est insolite pour une sortie, mais la propriétaire de cette épicerie, rencontrée quelques heures auparavant, a tenu à ce que nous passions un moment en sa compagnie le soir venu.
A peine arrivés, la maîtresse de maison nous propose de prendre un bain.
Sentirions-nous si mauvais ?
Quoiqu’il en soit, nous déclinons poliment l’offre, mais elle insiste : « Le petit, au moins, ça lui ferait du bien, non ! » Mais Pablo n’a décidément pas envie de se plonger dans une baignoire inconnue ! En désespoir de cause, la dame débouchera une de ses meilleures bouteilles de pisco et nous proposera de regarder son émission télévisée préférée. Il s’agit d’une étrange série américaine narrant les exploits d’une équipe spécialisée dans le sauvetage de personnes prisonnières d’ascenseurs en panne.
Tout au long de l’épisode, la patronne de la supérette fera l’aller retour entre le salon et le magasin pour servir les clients. « Depuis la mort de mon mari, je ne ferme plus le magasin que lorsque je vais dormir, ça me fait une occupation, explique-elle »
A chaque retour de la boutique, elle nous demande cependant de lui faire un petit résumé de ce qu’il vient de se passer.
Je finis par me demander si ce n’est pas la raison pour laquelle elle a souhaité que nous passions la soirée ensemble! Il y a bien sa fille, d’une trentaine d’années, qui regarde aussi l'émission, mais celle-ci semble être frappée d’une sorte de mutisme morbide. Elle a un regard halluciné, et, à intervalles réguliers, éclate d’un rire rauque un peu effrayant puis retombe aussitôt dans une troublante léthargie. Peut-être les effets d’une exposition trop prolongée au vent et…la solitude australe.
Nous regagnons notre tente une fois le film terminé. Une nouvelle tempête approche et la pluie commence à ruisseler autour de notre campement. A travers la fenêtre de son bureau, le carabinier de service nous fait un signe amical et nous souhaite une bonne nuit. Sans doute une forme d’humour local, très second degré. Cette nuit encore, nous avons l’ impression que la tente va se décomposer tant les rafales sont violentes.


Dimanche 5 janvier

Puerto Guadal – Puerto Bertrand.

Une trentaine de kilomètres pas trop difficiles. La température s’est de nouveau adoucie et de très larges éclaircies inaugurent ce début de journée. Journée également « historique » pour Pablo, qui a décidé, comme un seul homme, qu’il abandonnait définitivement le biberon et qu’il boirait dorénavant comme nous, dans une tasse !
Nous démarrons assez tard (à midi !) pour arriver à Puerto Bertrand vers 17h30. Une précision qui a son importance car dans la plupart de ces villages isolés, et du Sud profond en particulier, les seuls commerces dignes de ce nom sont des « Emaza » (Empresa de Abastecimiento para las Zonas Aisladas ou « Entreprise de Ravitaillement pour les Zones Isolées »). Il s’agit de magasins d’état dont le gérant est un fonctionnaire payé au mois et non pas en fonction des ventes. Une initiative très sociale et inattendue compte tenu du climat pour le moins libéral en vigueur dans ce Chili à peine dépêtré (?) de l’emprise pinochetiste.
Comme n’importe quelle « antenne » officielle et partout au Chili, les magasins de cette « chaîne » sont donc aussi tenu de respecter le même horaire et en l’occurrence, de rester ouvert jusque 18h. Pas de chance : l’ « Emaza » de Puerto Guadal est, pour des raisons qui nous échappent, le seul à fermer une demi-heure plutôt. Avec pour conséquences, que nous allons nous retrouver sans nourriture pour le repas de ce soir.
Nous parvenons néanmoins à nous procurer le strict nécessaire dans une petite hôtellerie. Juste en face de celle-ci, un petit terrain, en bordure du lac Bertrand, accueillera idéalement notre campement. Il y a un robinet, une feuillée rustique et du bois sec en suffisance pour le feu du soir. Enfin, tout cela est gratuit. Du moins pour l’instant. Le comité de quartier, propriétaire de ce terrain, compte demander une petite compensation financière aux touristes de passage dès l’année prochaine. Pour ce qui est du village proprement dit, Puerto Bertrand évoque certains lieux du Canada comme ces minuscules bourgades toute en bois, assoupies à l’orée d’un lac .
L’ambiance y est apaisante.
Un calme à peine troublé par le clapotis des vaguelettes et les conversations feutrées de petits groupes d’hommes revenant de la pêche. Au loin, un couple d’amoureux s’embrasse, appuyé contre une barque. Nous percevons à peine la mélodie que diffuse leur transistor posé dans les galets.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Toujours cet étonnant road-movie (ou bike-movie, si on veut !), passionnant !
L'épisode chez la marchande (d'origine chinoise ?) est impressionnant, notamment sa fille hagarde et prostrée devant la télévision... On pense à Jarmusch, voire à David Lynch !

Anonyme a dit…

J'adore la scène avec le musicien, qui augmente le volume..
et l'épicière qui a besoin de vous pour ne rien louper de sa série...

Anonyme a dit…

Bonjour Nuages,
Je ne pense que l'épicière soit d'origine chinoise (en fait je ne lui ai pas demandé) par contre, j'ai rencontré pas de mal de personnes (surtout dans le nord du Chili) qui avaient ces traits asiatiques (ou esquimaux?). En général, ces personnes étaient d'origine quechua ou aymara.