26 février, 2007

Carretera austral (4)

Jeudi 4 décembre 1997
Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne

Nous voici véritablement au « pied du mur ». Et pour cette première journée sur la fameuse Carretera Austral, un soleil radieux s’est levé. Cela faisait longtemps que nous n’avions plus vu une telle lumière. A peine le petit déjeuner englouti, nous arrimons notre matériel sur les vélos et démarrons dans l’enthousiasme. D’emblée, le paysage se révèle grandiose : montagnes aux sommets enneigés, torrents impétueux, végétation exubérante.
Cependant, nous parcourrons à peine quelques kilomètres qu’un premier incident nous contraint à faire une halte.
Une sangle s’est rompue et un des sacs de Marie-Hélène s’est de nouveau détaché. Comme nous rebroussons chemin pour le récupérer, un 4x4 de carabiniers débouche à toute allure d’un virage. Le véhicule freine des quatre fers, dérape dans les pierrailles et amorce un début de tête à queue. Il nous évite de justesse et s’immobilise à moins d’un mètre de nous. Un des policiers déboule et commence à nous invectiver en hurlant. Nous avons beau lui dire qu’il est totalement inconscient de rouler aussi vite sur un tel chemin, l’homme en uniforme s’agite de plus belle et demande à voir nos papiers. A ce moment son équipier, resté dans le 4X4 le rappelle « laisse tomber, lâche-t-il ». L’énervé n’insiste pas. Il remonte dans sa puissante jeep en faisant de nouveau vrombir le moteur et crisser les pneus. La patrouille disparaît dans une nuage de poussière. Ce sera le seul véhicule que nous croiserons de toute la journée !
Nous parviendrons finalement à bricoler une attache de fortune avec du fil de fer et remettrons le sac en place. Nous voilà reparti jusque Rio Amarillo, infime bourgade traversée par le torrent du même nom. Nous déjeunerons là puis, après une petite sieste dans l’herbe, nous prendrons la direction de Termas del Amarillo où nous comptons installer notre premier campement et passer la nuit. Ce lieu-dit n’a rien de particulier sinon que les abords d’une source thermale très chaude ont été aménagés et qu’il est possible de s’y baigner.
Entre temps la pluie s’est remise à tomber. Qu’importe, nous sommes bien décidés à passer la soirée à patauger dans cette source soufrée aux vertus, dit-on, miraculeuses, notamment pour soulager les douleurs osseuses et musculaires. Ca tombe bien !!!






(Quelque part entre Chaiten et Rio Amarillo, cette carcasse d'avion transformée en maison)

Vendredi 5 décembre 1997

Nous nous levons sous une fine bruine et remballons tant bien que mal la tente complètement détrempée. Nous déjeunons sommairement et sans café (je ne suis pas parvenu à allumer un feu, la moindre des brindilles est gorgée d’eau). Voici les conditions dans lesquelles nous attaquerons la 2e étape sur la Carretera. Un trajet d’une quarantaine de kilomètres qui doit nous mener jusque Puerto Cardenas. De nouveau, il s’agit d’un minuscule hameau lacustre fondé, comme la plupart des entités de la région, au début des années quarante . Selon nos informations, il dispose d’une modeste piste d’atterrissage –ça ne nous sera pas d’une grande utilité, mais on ne sait jamais- et il y a un téléphone dans l’unique hôtellerie situé en bordure du lac Yelcho. Il n’y d’ailleurs rien d’autre que cette hôtellerie dans les parages, si l’on excepte les quelques maisons disséminées dans les collines aux alentours . Pour l’anecdote, un guide local informe les voyageurs qu’en dépit de la pauvreté actuelle des infrastructures, ce lieu est promis à « un grand avenir touristique dans les années à venir grâce à la proximité du lac, précisément, et des possibilités innombrables qui s’offriront aux amateurs de nature vierge et de pêche sportive ». En attendant, c’est toujours un lieu de grande solitude. De nouveau, nous n’avons croisé absolument personne au cours de cette journée. Nous pénétrons dégoulinant dans l’hôtellerie en question dans l’espoir de nous réchauffer et peut-être absorber quelque chose de consistant. Ca tombe bien, la patronne a sur le feu une grosse marmite d’un liquide ressemblant fort à du bouillon. Dans l’établissement il y deux bûcherons et un carabinier déjà installés avec, entre les mains, un bol de ce breuvage. La patronne et les trois hommes nous dévisagent avec insistance et curiosité. Ils nous félicitent néanmoins pour avoir le « courage » de nous aventurer ainsi à vélo sur cette piste isolée avec un enfant en bas âge. Curieusement, l’hôtelière nous prévient, avant même que nous ne lui ayons demandé quoique ce soit, qu’aucune chambre n’est disponible actuellement pour cause de rénovation. Peut-être est-ce la perspective de l’ avenir touristique prospère évoqué plus haut qui a encouragé les patrons de l’établissement à se retrousser les manches !
Nous quittons les lieux un peu requinqués grâce au potage et nous mettons à la recherche d’un site propice à l’établissement de notre campement. Prenons la direction du pont -enjambant un bras du lac- et nous nous faisons très rapidement arrêter… par un fonctionnaire en uniforme dégoulinant sortant de sa guérite : « Contrôle d’identité, s’il vous plaît » La scène est surréaliste. En fait, nous quittons la Xe région pour pénétrer dans la XIe ! Une sorte de frontière, en somme. Nous rangeons nos documents puis traversons le pont. Nous avisons rapidement une prairie qui semble idéale pour passer la nuit. Marie-Hélène me fait remarquer que la pâture doit certainement appartenir aux occupants de cette maison située un peu plus loin, et qu’il serait peut-être bien de prévenir, ne fût-ce que par politesse, que nous allons occuper l’endroit, l’espace d’une nuit. Je parviens à la petite bicoque et en fais le tour. Je frappe à la porte, je crie, je demande s’il y a quelqu’un. En retour, je n’obtiens qu’un silence un peu inquiétant. Je risque un coup d’œil à travers la vitre brisée et aperçoit un homme effondré sur la table. Il est ivre mort. Le sol est jonché de bouteilles de vin et de canettes de bière. Sa tête se relève péniblement, mais retombe aussitôt violemment sur le coin de la table. Je m’esquive aussi discrètement que possible et décris la scène à Marie-Hélène. Elle n’a pas trop envie de s’éterniser dans cette ambiance un peu sordide. Nous ré-enfourchons nos bicyclettes en espérant trouver un lieu plus accueillant.
Contre toutes attentes, une plaque un peu rouillée indique qu’il y a un camping à quelques kilomètres d’ici. Il s’agit du « Centro Turistico Cavi ». Nous y accédons rapidement et découvrons un vaste terrain aménagé pour les voyageurs et les vacanciers. Il y a de beaux et grands emplacements pour les campeurs, des bungalows coquets ainsi qu’un club-house plutôt cossu avec fauteuils profonds, bûches dans l’âtre, musique d’ambiance et patron....en tenue de chasse.
« Cela revient à 19.000 pesos pour la nuit, nous prévient-il
-Mais c’est plus cher qu’une chambre à Santiago, répliquons-nous
-Oui, c’est parce que nous sommes en pleine saison touristique.
-Sans doute, mais il n’y a personne pour le moment !
-Bon d’accord, je vais vous faire une ristourne…7000 pesos, ça ira ? »

Nous concluons le marché et choisissons un emplacement tout au bord du lac. L’ambiance est mystérieuse. La brume commence à se lever. J’ai l’impression de revoir le Loch Ness !
Nous commençons aussi à comprendre ce qui fait la différence entre ce "Centre Touristique" et les autres campings pratiquant des tarifs plus démocratiques. Ici, chaque parcelle dispose d’une borne téléphonique individuelle raccordée directement au central du camping. Que l’on décide soudain de faire un barbecue, il suffit d’appeler et le commis, aussitôt, accourra avec une brouette chargée de bûches et de petit bois sec. On tombe à cours de vin ? Pas de problème, on décroche le combiné et le même commis vous apportera dans les cinq minutes un excellent Cabernet Sauvignon de derrière les fagots et….chambré à point ! La Patagonie réserve décidément de ces surprises.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Du Cabernet Sauvignon dans l'extrême sud chilien ! On peut en trouver aussi ici dans nos magasins. Le "Casillero del Diablo" est aussi un bon vin que j'ai goûté là-bas. Et que dire du "pisco sour", ce délicieux apéro, assez traître (alcool de raisin, citron vert, sucre de canne, blanc d'oeuf battu en neige...) !

A bientôt !

Jean