20 novembre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (18)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Ouest en Est de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....

Mercredi 18 novembre et jeudi 19 novembre. (La Paz-Potosi)

Journée ferroviaire pour un trajet « lourd » et long. Destination : Potosi.
Seize heures de voyage en grande partie de nuit à travers la puna et la steppe désolée des hauts plateaux.
Le départ est annoncé à 17h20.
Par précaution, nous nous installons dans le compartiment avec une bonne heure d’avance. Mais nous sommes à peine assis qu’un haut-parleur annonce un problème d’ordre technique : le train démarrera avec au moins une heure de retard.

C’est en tous cas une bonne nouvelle pour les vendeurs de boissons et de nourriture qui, cette fois, auront tout le temps d’ écouler leur stock de « Fanta », de « Pepsi Colita » et autres « Inca cola » ou « Brahma » aux saveurs médicamenteuses.



Il fait noir lorsque le convoi s'ébranle.

Faire sortir un train de La Paz a décidément été un véritable défi pour les ingénieurs responsables de la construction de la voie ferrée.
En effet, il faut savoir qu’avant de gagner le plateau et atteindre sa vitesse de croisière, le train doit d’abord s’extirper d’un véritable creuset de plus de 300 mètres de profondeur. Pour sortir de ce trou où s’est nichée la plus haute capitale du monde, il a fallu recourir à un système que l’on pourrait appeler « d’aller et retour ». Le train s’engage d’abord dans une voie sans issue, montant légèrement à flanc de montagne puis fait marche arrière en étant aiguillé vers une autre voie montant un peu plus que la précédente et ainsi suite, jusqu’à atteindre la plaine. Ce soir, les laborieuses manœuvres sont interrompues une demi heure d’heure à peine après le démarrage du train.
C'est arrêt imprévu a été précédé d’un violent bruit de ferraille.
Cette fois, un contrôleur nous informe, tout en enfilant sa salopette, que la locomotive vient de dérailler. « Rien de bien grave » nous assure l’employé comme s’il s’agissait d’un rouleau de papier W.C. à remplacer dans les toilettes..
Deux heures seront nécessaires pour remettre la machine sur ses rails.
Et cette fois sera pour de bon, jusqu’à Potosi, où nous arrivons le lendemain vers midi. Relativement fatigués par ce trajet, nous ne traînons pas en ville et dénichons tout de suite un petit hôtel -assez décrépi- dénommé « Le Central ». Un établissement qui n’a de central que le nom et dont les rares locataires (4 ou 5 à peine) sont des vieillards qui semblent y avoir élu domicile à titre définitif. L’installation électrique est de surcroît des plus précaires et je me fais électrocuter en allumant la lampe de chevet. Son fil est dénudé et touche les montants métalliques du lit ! C’est en tous cas un système efficace pour se lever d’un coup, sans trop musarder sous la couette.



(rallye automobile dans les rues de Potosi)
Vendredi 20 novembre (Potosi)

Il fait froid.
Et pour cause : la ville est située à 4070 mètres d’altitude. C’est d’ailleurs la seule métropole du monde digne de ce nom (avec 103.000 habitants –chiffre de 1987-) située à une telle altitude.
Elle fut fondée par les Espagnols en 1545 après que ces derniers aient remarqué de petites mines d’argent exploitées par les populations locales.
Mines située dans le Cerro Rico, la montagne au pied de laquelle a précisément été construite la ville.
L’argent fut ainsi le minerais qui engendra la richesse de cette ville dont il reste par ailleurs quelques beaux témoignagnes architecturaux. Au début du 17e siècle, Potosi comptait déjà plus de 150.000 habitants. Deux siècles plus tard, cet élan sera compromis avec la découverte d’autres gisements plus facilement accessibles, notamment au Pérou et au Mexique. Peu à peu la ville s’endormira et finira par ressembler à une cité fantôme. Plus tard, la découverte d’étain (métal inconnu des Espagnols à l’époque) redynamisera la ville et lui donnera un nouvel essor.
Aujourd’hui, cet étain est toujours extrait du Cerro Rico. Un travail souvent effectué dans des conditions archaïques et pénibles.
Ce matin, sur la Place, nous avons rencontré Mario, un ancien mineur qui a précisément travaillé quelques années dans l’extraction de ce minerais avant de se reconvertir dans le tourisme et plus particulièrement dans les visites guidées des mines.
Il nous propose de l’accompagner et de prendre le camion des ouvriers qui démarre d’ici dès 8 heures.

Au bout d’une demi-heure de route pentue, nous arrivons en vue d’un ensemble de baraquements qui sont en fait les habitations de quelques familles vivant à même le site minier, au pied de la « montagne d’étain ». Il s’agit, pour la plupart de pauvres maisonnettes en terre dont certaines jouxtent la galerie principale. A l’entrée de l'étroit boyau menant aux gisments, des taches brunâtres maculent le portique en pierre : du sang séché. « On asperge ainsi l’entrée de la galerie avec du sang de lama pour chasser le mauvais oeil nous dit Mario ».

Et il doit en falloir ici du sang de lama pour conjurer le mauvais sort !
Une fois munis de leur casque –l’unique protection dont disposent les travailleurs- et d’une dérisoire lampe à carbure, c’est l’enfer qui attend les ouvriers.
On pénètre tout d’abord par un long couloir où l’on est obligé de se courber très fort pour avancer.
Au début, la température est plutôt fraîche et de l’eau ruisselle de toutes parts sur les parois. Progressivement, la chaleur va augmenter pour devenir, au bout d’une quinzaine de minutes de progression, littéralement suffocante. Le manque d’oxygène à cette altitude rend de plus la respiration très difficile. Toutes les deux ou trois minutes, nous devons nous arrêter pour reprendre notre souffle. Lorsque nous arrivons dans une première salle, nous rencontrons un ouvrier occupé à avaler une goulée de « Cocoroco » (le tord-boyau titrant à 70°) et à se préparer une chique de coca avant d’entamer sa journée. « Ici, la feuille de coca ne coûte rien, elle coupe la faim et en plus, elle donne du cœur à l’ouvrage, explique Mario »
Une fois sa chique bien calée entre la joue et la gencive, l’ouvrier nous salue puis repart dans l’obscurité avec pour seul matériel, une sorte de piolet et un sac de jute qu’il remplira de minerai et transportera au jour -sur son dos- une fois sa journée finie.
Il n’ y a pas vraiment de règlement de travail dans cette concession privée, explique Mario. Il n’ y a ni ingénieur, ni géologue pour indiquer où creuser. Chacun fore, pioche et fait sauter des explosifs où bon lui semble, en fonction de son expérience, des conseils des anciens et en comptant un peu sur sa bonne étoile.
Si celle-ci est du bon côté, les ouvriers peuvent espérer des gains plus importants que dans les mines d’état où les salaires sont identiques pour chacun, que l’on découvre ou non un bon gisement.

Après un nouveau parcours à travers un dédale de galeries non étayées et d’éboulis instables, nous parvenons cette fois au cœur d’ une sorte de crypte dans laquelle un autel a été aménagé. En son centre trône une représentation du « Tio ». « C’est le Diable, commente notre guide et les mineurs lui vouent ici un culte particulier.
Aujourd’hui, vendredi, on lui dépose un verre d’alcool et on lui met une cigarette allumée dans la bouche pour solliciter ses faveurs et éviter les drames".
De toutes façons, même lorsqu’on échappe aux accidents, il y a peu de chance semble-t-il, que l’on échappe aux problèmes de santé. En moyenne, on ne travaille guère plus de15 ans dans ce genre d’ endroit. A raison de dix ou douze heures de travail par jour, le gamin qui a commencé a travaillé à 12 ans dans la mine ressemble à un vieillard lorsqu’il en sort et la silicose aura bien vite fait de l’achever.
Dans ces mines privées, il n’y évidemment aucune protection sociale et même le « matériel d’extraction » est à charge de l’ouvrier. Celui-ci doit acheter tout ce dont il a besoin pour son travail dans les commerces situés au pied de la montagne. Aussi trouve-t-on pêle-mêle et côte à côte dans ses étranges boutiques, du pain, des feuilles de coca, des outils mais aussi de l' alcool et des bâtons de dynamite. Cocktail détonnant!

(Enfant-orpailleur au pied du Cerro Rico)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

En passant à Potosi, je n'ai pas eu le courage de tenter cette visite des mines d'étain. Des amis rencontrés en chemin, oui, et ils ont décrit quelque chose de semblable à ton récit.
Le photographe belge Gaël Turine a fait un remarquable reportage sur ces mineurs d'étain.

Anonyme a dit…

Bonjour Nuages,

A propose de Gaël Turine, une très belle exposition de ce photographe se tient actuellement à Liège jusque la fin de cette semaine (Galerie le Périscope/ Cinéma Churchill, rue du mouton Blanc)
A voir absolument!!!!

Anonyme a dit…

Oui, je l'ai vue avec Martina. C'est une petite expo, qui reprend tous ses thèmes, à raison d'une ou deux images par série. Dans le passé récent, j'ai vu des expos de lui au centre Culturel Jacques Franck à St-Gilles (sur l'Afghanistan) et dans une ancienne salle aujourd'hui disparue, rue Haute. Il y a aussi un film, fait par deux documentaristes, qui le montre en action en Bolivie, précisément auprès des mineurs d'étain.

Quant à La Paz, je ne sais pas si tu y es passé récemment, mais il n'y a plus de trains ! La grande gare centrale est vidée de ses rails, et à la place on y trouve des dizaines de petites échoppes où les compagnies privées de bus vendent leurs tickets !