02 novembre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (15)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Ouest en Est de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....

Vendredi 13 et samedi 14 novembre (Puno-Copacabana)

Retour à Puno par cette même embarcation à moteur qui nous avait conduit sur l’ île deux jours auparavant. Cette fois, nous avons le vent dans le dos, ce qui a pour effet de refouler les gaz d’échappement dans notre direction. L’odeur de mazout conjuguée aux effets de l’altitude (3855 mètres) rend la traversée pénible et nauséeuse.
Passons deux nuits dans un hôtel des plus miteux en attendant le bus qui nous fera traverser la frontière et entamer notre périple en Bolivie. Pour tromper l’attente : quelques promenades le long du lac et surtout, une excursion à 30 kilomètres de Puno vers Sillustani où se niche un site archéologique
inca (et pré inca) des plus singuliers, celui des chullpas. Il s’agit d’imposantes tours funéraires dont la particularité est d’être circulaires. Une exception dans l’univers architectural inca!
Surplombant un paysage d’altiplano d’une impressionnante sérénité, ces mausolées s’érigent de manière presqu’inquiétante dans le ciel bleu métallisé des Andes. Aujourd’hui, le silence est pesant, et le lac, en contrebas semble éteint. Pas un souffle de vent ne l’anime, point d’écume ni de vaguelettes. Une véritable mer de plomb.

Dimanche 15 novembre

Après deux heures de route passablement défoncée dans un no man’s land désertique, la première ville bolivienne en venant de Puno se nomme Copacabana. Si le nom peut évoquer une célèbre plage brésilienne peuplée de créatures de rêve, le Copacabana bolivien inspire plutôt l’austérité. Certes il y a aussi une plage ici, mais celle-ci se trouve au bord du lac Titicaca. L ‘eau y est glacée et, comme au Pérou, l’ « infrastructure touristique » semble se résumer à quelques marchands de limonades circulant le long des berges à bord de triporteurs cacochymes.

Et en cette fin d’après-midi, s’il y a de l’animation sur la place, ce n’est guère en prévision d’une quelconque bacchanale mais pour des motifs tout ce qu’il y a de plus sérieux.
Demain se tient une grande procession en l’honneur de la Vierge de Copacabana.
Aujourd’hui déjà, des dizaines de pèlerins se sont regroupés à l’extérieur, face à l’immense cathédrale d’inspiration mauresque. Venus en famille, les dévots sont assis sur le sol et prient à haute voix devant leurs cierges allumés.
Comme un murmure sépulcral, leurs prières ont envahit de manière obsédante la place et ses abords.

Plus loin, au sommet de la presqu’île dominant la ville et le lac, des petits groupes ont entamé un chemin de croix en psalmodiant des cantiques à la gloire de la vierge locale.
Mais à la dernière station, constituée d’un imposant calvaire, quelques pénitents ont donné un tour plus festif à l’événement. Des bouteilles de pisco, de bière et de vin circulent de main en main et des chants païens commencent à s’élever dans le crépuscule.

Tout le long du parcours menant au calvaire et profitant de la circonstance, des commerçants s’affairent. Il s’agit essentiellement de femmes vendant ce que nous pensons être des jouets. Sur les étals, on peut voir des camions et des voitures miniatures, de minuscules valises remplies de liasses de faux dollars, des bijoux en plastique, de petits sachets de céréales ou de coca ou encore des reproductions de diplômes…..
En fait, ces objets sont liés à un rituel courant dans les régions altiplaniques. Tout qui achète l’un ou l’autre de ces articles est sensé l’obtenir « en vrai » et grandeur nature dans un futur proche, pour autant, bien entendu que l’achat de ces répliques ait été suivi des prières adéquates.


De retour dans le centre, nous nous arrêtons dans un estaminet d’où s’échappe une musique
tonitruante. Le disc-jockey du cru enchaîne les cumbias aux sicuris, les carnavalitos aux bombas sans le moindre temps morts. L’ambiance est enfumée, des hommes prêts à chavirer se cramponnent au bar et quelques femmes tournent, virevoltent et se démènent comme des derviches hystériques. Certaines tombent, d’autres se rattrapent in extremis dans les bras de ceux qui les observent et les convoitent depuis les bords de la piste.

Une étrange tablée nous hèle et nous invite à partager leur bouteille. Ce sont quatre jeunes gaillards au visage tané et vêtus comme les gens d’ici avec leurs chompas, ponchos et chulos (bonnets péruviens recouvrant les oreilles).
Ils sont en fait allemands et circulent dans la région depuis pas mal de temps, nous disent-ils dans un anglais rendu approximatif par une abondante consommation d’alcool ou peut-être d’autres substances.

Par politesse, nous acceptons le verre qu’ils nous proposent mais, l’ambiance tendant à se dégrader dans le café, nous prenons rapidement congé de ces étranges touristes avant qu’une bagarre générale n’éclate. Au comptoir, deux types en sont déjà presqu’aux mains pour une « histoire de fille » que l’un d' eux aurait regardé avec un peu trop d’insistance.


Nous quittons l’endroit, soulagés de n’avoir pas été mêlés à une quelconque rixe d’ivrognes lorsque, au bout de quelques minutes, nous entendons des pas pressants derrière nous et des appels qui, visiblement, nous sont adressés. Deux garçons d’une dizaine d’années sont à notre poursuite. Ils viennent d’ailleurs de nous rattraper.

Ils nous font comprendre avec une certaine animosité que nous devons payer non seulement les boissons prises dans le café -pourtant clairement offertes par les Allemands- mais aussi régler tout ce que ceux-ci ont bu avant notre arrivée. « Ils n’ont pas d’argent sur eux et ce sont vos amis : vous étiez assis avec eux, c’est donc vous qui allez payer, nous hurlent les deux gamins » Nous avons beau leur dire que nous n’avons strictement rien à voir avec ces voyageurs, mais rien n’y fait. Le ton monte et les garçons se montrent de plus en plus menaçants, sans doute encouragés par les passants qui se sont attroupés autour de nous.
Nous ne voyons plus qu’une seule issue: la fuite et la course éperdue à travers les ruelles sombres de Copacabana. Haletants, nous nous perdons dans un labyrinthe d' impasses malfamées et de venelles chaotiques.
Dans la débandade, Marie-Hélène heurte le corps d’un soûlard endormi et je me fais arrêter par un autre pochard, en quête d’un peu de monnaie. Nous nous dégageons puis reprenons le cours de notre fuite jusqu’à la place.

Depuis cet après-midi, le nombre de pèlerins qui s’y trouve massé a littéralement explosé. Ils sont maintenant des centaines, peut-être des milliers, à débiter leurs prières d’un ton monocorde dans la nuit glaciale et étoilée.

Dans ce contexte, la vision de cette foule incantatoire -dont on ne perçoit que les visages éclairés par les cierges- prend des allures presque cauchemardesques.
Nous profitons néanmoins de cette marée humaine providentielle pour nous y perdre dans l’espoir que les deux gamins ne nous retrouvent pas. Nous allons errer ainsi de longues minutes dans cette multitude illuminée et finirons après moult détours par rejoindre notre pension sans encombre.
Là, dans le patio, une famille de Boliviens aperçue au calvaire quelques heures auparavant nous reconnaît :
« Quelle chance de se retrouver ici, s’exclame l’homme en nous voyant rentrer.
-Venez que je vous présente à ma famille, ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre des Belges par ici.
-Approchez, nous allons déboucher quelques bonnes bouteilles….














(La baie de Copacabana et le lac Titicaca)












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