30 décembre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (23)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Ouest en Est de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....

Dimanche 6 décembre (Sur le Rio Sao Francisco, Brésil)


C’est le bruit des barges que l’on arrime au pousseur qui nous éveille. Il est cinq heures du matin. La lumière est bien pâle et les effluves de la cachaça de la veille ne sont pas encore bien dissipés. J' ai le visage tout boursouflé à cause des piqûres d’insectes.
Par l’entrebâillement de la porte, nous apercevons un homme un peu rondouillard en uniforme donnant ses ordres d’une voix pâteuse à deux jeunes mousses indolents et rigolards.


Pendant ce temps, un membre du personnel va et vient au dessus de nos têtes et nous enjambe en veillant à ne pas nous heurter car Peter et moi sommes toujours couchés à même le sol de la petite cantine.
Sur le bateau, et selon un vieux règlement de la marine locale, les femmes ne peuvent dormir dans la même pièce que les hommes alors Marie-Hélène, à son corps défendant, a d’office été dirigée vers la chambre de Luzmila, la cuisinière.
Paulinho, celui qui s’active ainsi de si bonne heure dans la cantine, est un peu l’homme à tout faire du bateau et est chargé de mille et une tâches comme dresser la table du capitaine, faire les courses pour l’équipage lors des escales, aider la cuisinière mais aussi agiter la cloche à l’heure des repas.


Paulinho sera le premier avec qui nous ferons connaissance et à peu près le seul avec qui nous entretiendrons une relation conviviale à bord. Il sera notre guide sur le bateau pendant les quatre jours que durera ce voyage sur le Sao Francisco, ce fleuve que l’on appelle aussi le Nil du Brésil. Le bassin qu’il draine est en effet plus vaste que la superficie de la France et de la Suisse réunies. On dit encore de ce fleuve qu’il est le deuxième plus important du Brésil, après l’Amazone, avec une longueur totale d’ un peu plus de 3000 kilomètres, même si sa partie navigable ne concerne « qu »’un tronçon d’environ 1300 kilomètres. Tronçon précisément situé entre Pira-Pora, d’où nous venons de démarrer, et la ville de Juazeiro.
Pour notre part, cette équipée fluviale se clôturera un peu avant, au niveau de la petite bourgade d’Ibotirama, d’où part une route en direction de Bahia où nous bifurquerons enfin vers Rio.

En cette première journée de voyage, nous avons commencé par explorer le bateau. Et le tour en a finalement été très vite fait : une cabine de pilotage, la chambre du capitaine, celle des deux mousses, celle de Paulinho, une autre attribuée à la cuisinière, la salle des machines et la petite cantine. Pour le personnel s’occupant des manœuvres de chargement, de l’accostage etc…il n’ y a rien de prévu : les ouvriers sont logés sur le pont, dorment à la belle étoile dans des hamacs et mangent sur des tas de cordages.
Le convoi est très lent. Peut-être 10 à 12 kilomètres à l’heure. Et encore, nous naviguons à vide et dans le sens du courant. J’imagine la vitesse lorsque le bateau fera chemin inverse chargé de sa cargaison de gypse.


Côté paysage, celui-ci ne s’est pas beaucoup modifié depuis notre départ et nous nous rendons compte que la croisière risque fort d’être monotone si nous ne nous trouvons pas une petite activité au cours des 700 kilomètres qu’il reste à parcourir. Marie-Hélène s’est plongée dans la lecture d’un ouvrage de circonstance puisqu’il s’agit de la « Boutique aux miracles » de Jorge Amado, Peter a choisi de se consacrer à la méditation, assis en tailleur des heures durant face à un paysage rigoureusement plat et moi, je remplis ce carnet qui peut-être n’aura d’ autres

vocations que de traîner dans le fond d’un tiroir une fois rentré au pays. Notre humeur est un peu sombre. A l’image des torrents de boue que charrie le fleuve et de ce ciel menaçant. La saison des pluies doit commencer plus tôt dans la région.
Aujourd’hui, la journée avait bien démarré pourtant et l’ensoleillement était parfait. Rapidement de lourds nuages se sont amoncelés et ont fini par se déchirer en début d’après-midi. Ce sont alors des trombes d’eau qui se sont abattues sans retenue pendant des heures et jusqu’à la tombée de la nuit.

Le seul événement rythmant la journée ici semble être cette cloche que fait sonner Paulinho pour nous avertir des repas que nous prenons en compagnie du capitaine. L’homme n’est guère très causant. Ses seules conversations tournent autour de la nourriture et des qualités de cordon bleu de Luzmila, la cuisinière. Avant chaque repas, comme un rituel, il nous indique où se trouvent le sel, le poivre et cette espèce de sauce « tipo inglès » qui accompagne invariablement chaque repas.

Généralement, ceux-ci sont composés de pilons de poulet, d’une sorte de purée à base de farine de manioc, de lentilles ou de fèves. Parfois, une salade de tomates agrémente le tout. En guise de dessert nous sommes tantôt gratifiés d’une curieuse gélatine rouge et translucide au goût de grenadine, tantôt d’une insolite compote de coings.
Pour cette deuxième nuit à bord, Peter et moi partagerons la chambrée des mousses. Marie-Hélène restera quant à elle dans celle de la cuisinière.
Comme il fait particulièrement chaud et moite, je laisse la porte de la chambre entr’ouverte. De ma couchette, j’ aperçois les rives du fleuve et au delà, un espace infini de terres rougeâtres couvert çà et là d’une végétation basse et broussailleuse préfigurant le Sertâo.
Je m’endors en regardant le soleil disparaître derrière ce paysage rugueux.








(Coucher de soleil sur le Rio Sao Francisco)

Lundi 7 décembre.

Au réveil, je suis ruisselant. Mon sac de couchage est trempé et je macère dans un véritable cloaque. Durant la nuit, la pluie a redoublé d’intensité et le vent la chassée vers ma couchette. Mon sac-photo a également été touché et c’est un vrai miracle que mon appareil fonctionne toujours.
Encore une journée pluvieuse. Nous n’avons d’autre choix que de nous réfugier dans le réfectoire. On boit du thé, on mange des biscuits secs et l’on passe le reste temps à jouer aux cartes avec Peter.


Il y a quand même eu un petit événement cet après-midi. Pendant plus d’une heure, le Santa Dorotéa a exécuté une pénible manœuvre pour accoster au milieu de nulle part, juste à côté d’une autre barge faisant apparemment chemin en sens inverse. D’ après Paulinho, cette opération était assez risquée car il n’est pas rare de s’ensabler sur ce tronçon. Lorsque nous lui demandons la raison de cet exercice périlleux, Paulinho nous avoue que le capitaine avait simplement envie d’aller saluer le capitaine de l’autre bateau et de partager avec lui une bouteille de cachaça!!!

Mardi 8 décembre



Cette fois, une halte digne de ce nom a été prévue : Bom Jesus de Lapa. Il y a au moins deux bonnes raisons de s’arrêter ici. Tout d’ abord, c’est un lieu de pèlerinage assez connu dans la région et il est de bon ton pour tout qui passe dans le coin d’aller prier dans la petite chapelle aménagée dans une grotte. La deuxième raison est qu’il y a ici un petit marché bien achalandé et Paulinho ne manquera pas de s’y procurer les vivres nécessaires à la poursuite du voyage. Nous l’aidons à transporter ses achats constitués pour l’essentiel de fruits, d’épices, d’un gros sac de riz, d’un quartier de bœuf et de quelques bouteilles
d’eau-de-vie. Cette parenthèse terrestre clôturée, nous reprendrons notre rythme de vie indolent et un peu monotone à bord du Santa Dorotea jusque demain soir. Au programme : parties de cartes, lecture, écriture et soirée passée à concocter des apéritifs à base de cachaça, de citrons verts et de jus d’orange.

Mercredi 9 décembre en soirée, nous faisons nos adieux à l’équipage. Le bateau nous a déposé sur le ponton du petit port d’ Ibotirama, (la Terre Fleurie en Tupi-Guarani). Une ville comptant une dizaine de millier d’habitants (en 87). Nous sommes à présent dans l’état de Bahia. Nous rejoindrons sa capitale, Salvador, demain dans le courant de la journée. Un trajet en bus long d’environ 650 kilomètres.



(Sur la route d'Ibotirama à Salvador de Bahia)

A titre anecdotique et informatif à l’attention d’ éventuels candidats au voyage sur le Rio San Francisco : La Franave, société ayant le monopole des activités de transport sur le fleuve depuis 1963 est en faillite et a été mise en liquidation en date du 22 janvier 2007 et clôturera définitivement ses activités ce 6 février 2008. Il n’est pas trop tard mais il est grand temps de s’inscrire pour la dernière traversée !!! Infos complémentaires sur le site officiel de la Franave : http://www.franave.com.br/








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