10 décembre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (20)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Ouest en Est de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....

Mercredi 25 novembre

Importante – mais monotone- étape vers le Brésil ou plus exactement jusque Puerto Suarez, le dernier village bolivien avant la frontière. Ce trajet prend 22 heures. Du moins avec cet omnibus avec lequel nous allons couvrir la distance d’environ 750 kilomètres.
Cette fois, le relief est plat.
La voie ferrée traverse tantôt de vastes plaines marécageuses, tantôt des forêts de type tropical. Il n’y a guère plus d’une vingtaine de voyageurs dans notre voiture, mais nous ouvrons l’œil : cette ligne a mauvaise réputation. On raconte que la région est écumée par des truands passés maîtres dans l’art de glisser de la cocaïne dans les bagages des voyageurs endormis. Drogue aussitôt récupérée par des complices une fois passée la frontière. D’une manière comme d’une autre, ce sont de gros ennuis qui attendent alors les touristes-« passeurs-malgré-eux ». Soit leurs bagages sont dérobés par les trafiquants brésiliens, soit les douaniers découvrent la drogue et c’est alors aux voyageurs innocents de prouver leur bonne foi!
Pour notre part, le trajet se déroulera sans anicroche, si ce n’est que durant de longues heures, une brave dame nous assommera avec ses histoires à dormir debout.
Celle-ci, nous avoue faire régulièrement ce trajet pour rejoindre son ami le lieutenant « X », caserné à Corumba au Brésil, et que plus d’une fois, elle a aperçu dans la nuit de curieuses lumières dans le ciel. Elle est persuadée que cette zone est un lieu de prédilection pour les extraterrestres. D’ailleurs, son ami le Lieutenant lui a confirmé que des dossiers « classés top-secrets » sur le sujet avaient été ouverts et que l’on prenait la question très au sérieux dans la région. A intervalle régulier, la dame s’interrompra d’ailleurs pour pointer le ciel du doigt…..en s’exclamant «Mon Dieu, regardez là-bas cette étrange lueur…. !» Mais à chaque fois nous n’ apercevons que des étoiles –certes très lumineuses- ou parfois de modestes lumignons provenant vraisemblablement de cabanes perdues dans la forêt.

Jeudi 26 novembre


A Puerto Suarez, la voie ferrée s’arrête. Il faut alors parcourir quelques centaines de mètres à pied pour arriver au poste frontière brésilien. Dans la file des voyageurs, un jeune Brésilien -originaire d’Olinda- est tellement ému de retrouver sa terre natale qu’il a sorti sa guitare de son étui et commence à chanter une « saudade » les larmes aux yeux devant des douaniers complètement amorphes et insensibles à cette manifestation de joie.

Une fois les contrôles de routine accomplis, il reste encore un petit trajet à effectuer, toujours à pied, jusqu’à l’arrêt d’où l’on prend le bus jusque la ville de Corumba. C’est au cours de ce trajet que survient un curieux événement. Une bande de cinq ou six jeunes hommes en civil a improvisé un petit barrage sur la route. Ils arrêtent chacun et font comprendre, calmement mais fermement – ils sont armés de battes de base-ball-, que pour pénétrer au Brésil l’on doit s’acquitter d’une taxe d’environ cinq ou six dollars ! Comme je n’ai qu’un billet de dix dollars sur moi je le leur donne mais attend qu’ils me rendent la différence. « Pas la peine, me précise l’un des rançonneurs, c’est très bien comme ça, dégagez à présent !!! »
Ce premier contact avec le Brésil est décidément des plus étranges !

Nous arrivons à Corumba en fin d’après-midi et dénichons une petite pension proprette et bon marché tenue par un couple de Libanais sexagénaires : La pension « Schabib ». Le patron se révélera de surcroît être un masseur hors pair. Comme je lui avais fait part de mon état un peu fiévreux et de violentes douleurs dans le dos (sans doute provoquées par les longues heures passées en train), celui-ci me proposera sans attendre son remède miracle : une énergique séance de manipulation à même la table de la cuisine. Le bonhomme, à première vue, semble fluet mais ses mains sont en acier trempé ! J’entend encore craquer chacune de mes vertèbres !
« Vous savez, me dit le Libanais, c’est courant par ici ce genre de malaise généralisé et le climat chaud et humide de la région n’arrange rien. D’ailleurs, en trente ans d’existence dans ce patelin, ma femme ne s’y pas encore habituée et mes massages sont la seule chose qui la soulage quelque peu ». De fait, dans l’autre bout de la pièce, depuis le début de ma « consultation », Madame Schabib – une pauvre femme presque transparente- n’a cessé de se traîner sans énergie d’un fauteuil à l’autre, et de la chaise au hamac en poussant de désespérants soupirs.

Vendredi 27 novembre.

Journée de repos, balade dans la petite ville, dégustation d’excellents jus de fruits frais (notamment d’ananas) et rencontre de Catu. Un gars du coin qui nous propose de visiter la région à bord de son pick-up. L’idée est séduisante et nous concluons le marché :
Demain, dès 7 heures nous partons avec lui pour trois jours à la découverte du Mato Grosso du Sud et plus particulièrement de la réserve naturelle du Pantanal.

Samedi 28 novembre

Le soleil est à peine levé qu’il fait déjà une chaleur suffocante. Les premières pluies n’arriveront qu’au début du mois de janvier. Cette saison sèche, est d’ailleurs une des meilleures périodes pour observer la vie sauvage de cette vaste zone marécageuse qu’est le Pantanal. Cette région est aussi, dit-on, une des plus importantes du monde quant à la diversité de sa flore et de sa faune. Celles-ci sont fort similaires à celles que l’on peut observer dans le bassin amazonien. Ici, cependant, un paysage plus « ouvert » permet une observation plus aisée qu’en Amazonie où la densité de la végétation rend difficile l’approche de certaines espèces. Dans le Pantanal, on dénombre plus de 600 espèces d’oiseaux dont les plus courantes sont les martins-pêcheurs, les nandous, les hérons, les cigognes (dont certaines variétés mesurent plus de 2 mètres), les perruches, les aras ou encore les toucans. Il y a également plus de 350 variétés de poissons (dont le vorace piranha) et une invraisemblable quantité de mammifères parmi lesquels on trouve différents types de cervidés, l’ocelot, le puma, le tapir ou l’étonnant cabiai (ou capivara) : une variété de cochon d’Inde géante. Il y a aussi les boas et les impressionnants jacarés (l’alligator brésilien). Il est également remarquable de constater que toute cette faune semble vivre en parfaite harmonie avec les activités humaines environnantes telles que les nombreux élevages de bœufs qui parsèment la région et côtoient les animaux sauvages sans trop de frictions apparentes. C’est du moins ce que nous dit Catu, notre guide du jour qui ajoute encore que la chasse est également strictement interdite.
Au bout de quelques heures de piste sablonneuse, nous apercevons déjà d’assez près un belle colonie de « tuïuïu » (cigognes) en train de fouiller la vase. Plus loin, c’est un couple de jacarés qui se prélasse dans les eaux peu profondes des marais, sans même prendre la peine de déguerpir à notre arrivée. Ils ont l’air paisible, mais gare aux imprudents, certains de ces reptiles peuvent mesurer jusqu’à 2 mètres et leurs dents sont de vrais hachoirs.
Dans le lointain nous avons aperçu une bande de cabiais. Ces cochons d’Inde version géante ont la taille d’un bouvier des Flandres ! Cette espèce est assez peureuse. Dès notre approche, les voici qu’ils se mettent à galoper et piquer aussitôt une tête dans les marigots.
Sur le chemin, nous rencontrons la dépouille d’un très long serpent. On les dit non venimeux mais très puissants. Ils sont capables d’étouffer et d’avaler un cabiai entier pour le repas de midi !
A propos de repas, nous voici justement arrivés en vue d’une petite fazenda, où Catu nous convie à partager le repas avec quelques-uns de ses potes éleveurs. En fait, ce sont de véritables cow-boys : Stetson vissés sur le crâne, pistolet, cartouchières en bandoulière, couteau fiché dans la ceinture et larges pantalons de cuir. Nous avions un peu potassé le portugais avant notre départ, mais ici avec ces gens, nous ne comprenons pas un mot de la conversation. C’ est des costauds qui discutent boulot, de troupeaux, de vaches, de réparation de clôtures et qui, entre deux plaisanteries décapsulent leur bouteille de cachaça…avec les dents ! Par trente degrés à l’ombre, ça fait des dégâts. Tiens, il y en a un qui est déjà écroulé dans le hamac.





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