10 avril, 2008

Chili, des photos, des légendes...(8)

Iquique, la Guerre du Pacifique et les cités-fantômes (2)


Quitter Iquique en « stop » ne pose pas vraiment de problème. Il y a des quantités de camions qui transitent chaque jour par cette ville pour faire le plein ou assurer une livraison avant de reprendre la route à travers la pampa.
D’ailleurs, au bout d’une dizaine de minutes d’attente à la Copec (COmpagnie PEtrolière Chilienne) , un poids-lourd nous proposait déjà de monter à l’arrière de la plate-forme qu’il tractait. « Grimpez, et maintenez-vous fermement aux cordes, lança le chauffeur en faisant vrombir le moteur ».
L’espace disponible n’était pas beaucoup plus large que nos chaussures mais une fois en place et bien agrippés aux sangles qui maintenaient les colis sur la plate-forme, nous pensions que , même debout, il serait possible de faire un long parcours ainsi. C’était sans compter sur les chocs, la vitesse et surtout, la manière pour le moins nerveuse de conduire du chauffeur. De plus, les cordes auxquelles nous nous tenions n’étaient plus de première fraîcheur. L’idée de voir se rompre ces liens déjà bien usés et de tomber sous les essieux de la remorque (car il y avait aussi une remorque) me donne aujourd’hui encore des sueurs froides.
Au bout d’ une heure de ce calvaire sur la Panaméricaine, je mis à profit un léger ralentissement du camion pour héler le chauffeur et lui dire que nous souhaitions descendre. « Déjà ! s’écria le camionneur, mais vous n’êtes nulle part ici ! » Comme nous insistions, le camion finit par s’arrêter. Il n’y avait effectivement rien d’autre ici qu’une borne indiquant « kilomètre 129 » et un dérisoire abri de tôle destiné à protéger du soleil d’hypothétiques voyageurs. Comble d’ironie sur cet abri avait été peint un gigantesque cornet de glace. Tout autour, il n’y avait que le néant ou plutôt, la pampa. Non pas cette plaine herbeuse que les dictionnaires définissent telle une vaste étendue herbeuse où vont paître les vaches et les moutons, mais un vaste couloir de solitude minérale, écrasé de soleil, coincé entre la Cordillère côtière et celle des Andes.

Il y avait des tas d’histoires qui circulaient sur ces contrées autrefois tant convoitées pour leurs richesses. Des histoires un peu folles comme celle de ces aviateurs perdus qui, une nuit, après un atterrissage forcé, avaient aussitôt été dévorés par les rats.. Des histoires parfois un peu effrayantes évoquant la présence de créatures mi-hommes, mi cochons, d’enfants vampires et de cavaliers sans tête errant sans fin à travers les dunes grises.
Quelque soit la part de vérité de ces récits de vieux mineurs, de ces « vieux cassés » comme on les nomme ici, il régnait bel et bien dans la pampa un climat étrange, pesant, presqu’angoissant et ce, malgré le soleil radieux.

Il n’était pas encore midi. Nous nous étions assis un moment par terre, essayant de nous remettre un peu des émotions passées « à bord » du camion.

C’était l’heure où la terre commençait à se plaindre. Au début il fallait tendre l’oreille pour s’en rendre compte, mais peu à peu, l’impression confuse se précisait et le bruit devenait même obsédant.
De craquements secs en soubresauts millimétriques, le sol, chauffé à blanc, se mettait en mouvement. Il se tordait et s’éparpillait en vaguelettes ourlées d’écume minérale : le salpêtre surgissait.

Etait-ce la chaleur ou la fatigue de ce trajet périlleux mais j’avais à présent la tête un peu vide et je restais sans bouger à fixer un lézard impassible. Il semblait évaluer les risques qu’il encourrait en se glissant dans une fissure d’apparence bien accueillante. Y pénétrer était facile, en sortir dans une heure lui serait peut-être impossible…

Le passage d’un Pullman me sortit de ma torpeur. Depuis un moment déjà, on entendait le bruit des pneus se rapprocher sur l’asphalte ramolli. Ça me rappelait cette impression que l’on a lorsque l’on marche avec un chewing-gum collé à la semelle. Schlik, shlick, schlik….
Lorsque le car passa à notre hauteur, je vis qu’ aucun des passagers ne regardais le paysage.

J’en étais presque à regretter le confort de ces bus de grandes lignes. Avec leur climatisation et leur insonorisation, on s’y sentait protégé et surtout, complètement coupé de l’environnement parfois hostile.
Je me souviens, il y a quelques années, j’avais pris un de ces bus pour traverser le désert du côté de San Pedro de Atacama. L’adjoint au chauffeur, pour faire passer le temps aux voyageurs, avait choisi de passer un vieux film avec Charlton Heston. C’était le Cid, je crois, ou un de ces films historiques poussiéreux tournés dans des paysages aussi arides et désertiques que ceux traversés par le bus !

Comme il faisait trop chaud à présent pour attendre un véhicule et poursuivre notre route, nous décidâmes de nous approcher de ce village que nous avions aperçu dans le lointain et de nous y abriter jusqu’à ce que le soleil décline un peu.
C’était une de ces « officines » abandonnées comme il y en a des dizaines le long de la Panaméricaine, dans le Nord du pays. De véritables villages -parfois des villes- qui vivaient autrefois de l’exploitation du salpêtre jusqu’au jour où les chimistes allemands de Bayer réussirent à fabriquer ce produit (utilisé comme fertilisant) de manière synthétique. Dès lors, ces villes et villages péricliteront peu à peu, au point d’être totalement laissés à l’abandon.

Vers 1908, juste après la guerre du Pacifique, ces exploitations étaient presqu’exclusivement aux mains d’entrepreneurs anglais, dont le fameux John North qui avait acquis une bonne partie des exploitations à vil prix en plein conflit.

Les conditions de travail dans ces officines étaient dignes de celles des forçats et les ouvriers passaient des journées entières à casser la pierre sous un soleil de plomb. Une fois la caillasse débitée, il s’agissait ensuite de la hisser dans d’énormes cuves remplies d’eau que l’on portait à ébullition pour séparer les nitrates des substances indésirables. La bouillie obtenue était alors déversée dans des bacs. L’eau, s’évaporant rapidement laissait enfin apparaître le sel de la terre, le nitrate de potassium… le salpêtre du Chili.

Les ouvriers de ces exploitations étaient sous-payés et leur salaire était de surcroît constitué de « bons » qu’ils ne pouvaient échanger que dans les épiceries et magasins de l’entreprise (pulperias) . Commerces dont les prix étaient évidemment largement supérieurs à ceux pratiqués couramment en ville.

Le village abandonné où nous nous trouvions s’appelait « Los Pintados » -en référence aux gravures rupestres couvrant les dunes des alentours- et le premier édifice croisé fut une petite église. Au frontispice de celle-ci, il y avait un dessin naïf illustrant l’épître de Mathieu : « Qu’il est large et spacieux le chemin qui mène à la perdition. Qu’il est étroit et sinueux, celui qui mène à la vie éternelle… »

(fresques à Los Pintados)

(Voir également le superbe reportage que Nuages vient de consacrer aux villes-fantômes du Nord chilien ici)


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