11 avril, 2007

Carretera austral (10)

Mardi 23 décembre 1997
Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne

Illustration sonore avec le groupe "Quilantal" (de Coihaique) Titre du morceau: "Amor salvaje"

Coihaique- Balmaceda, une étape d’environ 50 kilomètres.
Quittons Coihaique dans la grisaille. Ce tronçon de route, pour une fois, est parfaitement macadamisé. Ce qui est somme toute logique puisqu’il réunit la capitale régionale au seul véritable aérodrome du coin. Cette étape ne présentera donc aucune difficulté majeure et les quelques fortes montées seront largement compensées par des descentes vertigineuses où l’on atteindra (selon le compteur de Marie-Hélène) des pointes de 60 km/h.
A partir d’ aujourd’hui l’ environnement se modifie sensiblement. Les sommets enneigés, jusqu’ici omniprésents semblent s’éloigner et font peu à peu place à quelques formations rocheuses de type karstique. Ensuite, la plaine, préfigurant la pampa argentine, se taille une large place dans le paysage. Le vent, quant à lui, devient pour ainsi dire constant et de plus en plus violent. Heureusement, cette fois, il nous « pousse » dans la bonne direction, ce qui améliorera quelque peu nos performances vélocipédiques habituelles. Nous atteignons assez rapidement le village d’El Blanco, but premier de cette étape. Comme il encore tôt dans l’après-midi, nous décidons de poursuivre notre chemin encore quelques heures. Nous nous arrêtons juste le temps de faire quelques provisions pour le repas du soir. Les deux seuls petits magasins de l’endroit sont cependant fermés. (« congé de fin d’année », indique des panneaux à l’entrée des deux épiceries). Un homme, à qui nous demandons où il est possible de s’approvisionner, se résoudra à nous donner un pain de sa réserve ainsi qu’un sachet de jus d’orange en poudre pour Pablo.
Nous arrivons à Balmaceda en fin d’après-midi.
C’est un gros village battu par les vents, posé en pleine pampa, à quatre kilomètres à peine de la frontière argentine. C’est aussi le plus ancien village de la région : sa fondation remonte à 1917 lorsqu’un groupe de colons argentins, sous la férule d’un certain José Antolin Silva Ormeño, décida de regrouper toutes les familles dispersées dans les environs pour créer un « centre » digne de ce nom.
A première vue, rien ne distingue ce village des autres, si ce n’est une impression de désolation plus grande encore. Le vent est plus que jamais harassant et j’ai l’impression qu’il m’empêche d’avoir un raisonnement un tant soit peu cohérent !


Nous installons notre tente dans une prairie en face de l’épicerie du coin, non sans avoir demandé au préalable l’autorisation aux carabiniers de service. « Ces gens-là gagnent leur argent assis, (« Ellos ganan plata sentados »), mais il vaut mieux leur donner l’impression qu’ils ont des responsabilités et qu’ils servent à quelque chose, nous dit un passant à propos de la police locale »
Pendant que nous montons notre campement, Pablo s’est déjà acoquiné avec les gosses du quartier venus voir de plus près ces curieux étrangers à bicyclette. Ensemble, ils entament sans tarder une partie de foot au milieu des crottins et des détritus jonchant la prairie.
Je me hasarde ensuite jusqu’à l’épicerie et tâche d’acquérir une bouteille vin pour égayer le souper. Pas de chance, la patronne me répond qu’elle ne vend rien d’alcoolisé « Ici, c’est une maison protestante, ajoute-elle sèchement ».
J’ignorais que les disciples de Luther étaient si rigoristes en la matière !
En cette fin de journée, nous sommes un peu inquiets : depuis quelques heures, Pablo n’arrête pas de tousser. Marie-Hélène est allée à la recherche d’un médecin, mais il reste introuvable. La nuit venue, nous avons froid. La pluie s’est remise à tomber, plus violente que jamais et le vent a redoublé d’intensité. Nous sommes malgré tout parvenus à réchauffer un peu de lait avec du miel pour Pablo.
Alors que nous avons à peine trouvé le sommeil, une voix nous réveillera en pleine nuit.
Une femme du village a appris que notre fils n’était pas bien. Elle nous invite à passer la nuit dans sa maison.
Comme Pablo dort à présent profondément, nous ne voulons pas le réveiller. Je réponds à cette brave personne que nous aviserons demain et peut-être accepterons-nous son invitation.

Mercredi 24 décembre 1997

Nous nous réveillons en assez mauvaise forme. Le terrain choisi pour installer notre tente s’est avéré terriblement caillouteux et bosselé. Nous avons des crampes partout et Pablo tousse de plus belle. Cette fois Marie-Hélène est bien décidée à retourner le village de fond en comble pour enfin trouver le médecin. « Dans le petit dispensaire, non loin de la place, tout était ouvert, me racontera plus tard Marie-Hélène, les bureaux, les chambres, la salle d’attente,..mais il n’y avait absolument personne dans le bâtiment, excepté…. un chien errant ! » C’est un passant qui, finalement, nous informera en nous disant que le responsable de l’hôpital, à cette heure se trouvait au café. Non pas que la personne en question fût alcoolique ou un « accro du zinc » mais parce que le responsable du petit hôpital est aussi… le propriétaire du café. C’est donc au café que nous irons rencontrer le praticien et tenter d’obtenir un rendez-vous. En effet, le bistrotier était bien à son poste. Devant notre insistance, il troquera sans attendre son tablier de serveur pour une blouse blanche et nous demandera de le suivre jusqu’à son cabinet.
Le diagnostic est plutôt rassurant. Il s’agit d’une grosse pharyngite. «En plus de ces médicaments, l’idéal, précise encore l’homme, serait que vous restiez quelques jours au chaud pour accélérer la guérison ».
Nous repensons à la dame de la veille et à son invitation.
Nous trouvons sans peine sa maison à la lisière du village, juste avant la « grande plaine » dans la bien nommée « rue de la frontière ».
Il s’agit d’un modeste logement tout en bois avec quelques tôles agencées « à la diable » en guise toit. La dame est visiblement ravie de nous recevoir en cette veille de Noël. Elle nous explique qu’elle vit seule avec ses cinq enfants et que pour survivre, en plus de son petit boulot à l’hôpital -où elle s’occupe du nettoyage-, elle pose des collets et part chaque jour à la pêche dans un petit rio poissonneux du côté argentin.
« Mais, je pense que ça vous ferait plaisir que nous ayons un sapin pour le réveillon, s’exclame soudain notre hôte, je sais que c’est une tradition chez vous en Europe ! ». Sans attendre notre réponse, Madame Borquez (c’est son nom) s’est dirigée vers un débarras d’où elle ressort aussitôt en brandissant une hache « Je vais arranger cela ! En attendant, mettez-vous à votre aise ». Elle disparaîtra durant une bonne heure.
Pendant ce temps, nous faisons connaissance avec la famille et cette joyeuse marmaille dépenaillée qui court en tous sens sur fond de cuecas qu’une radio diffuse à plein régime.
S’il y a longtemps qu’un nettoyage en profondeur n’a pas été entrepris dans cette maison, l’ambiance est par contre chaleureuse et il est merveilleux de s’asseoir en face de la vieille cuisinière à bois et de savourer un bon maté sucré, presque bouillant.
Avec un fond de farine et des raisins secs qu’il restait dans nos bagages, nous avons décidé de réaliser un goûter et confectionnons un tas de crêpes que les enfants vont engloutir en moins de temps qu’il n’a fallu pour les préparer.
Entre temps, Madame Borquez est réapparue en tirant derrière elle un arbre de belle taille. Il s’agit d’un ñire, un arbuste feuillu de la région. Quoique, ici, je n’en avais pas encore vu. « En effet, il y a très peu d’arbres aux alentours, confirme Madame Borquez, celui-ci, je viens de le couper au cimetière !!! »
Un bidon qui autrefois devait contenir de l’essence fera l’affaire pour arrimer l’ étrange sapin de Noël. Enfin, pour le décorer, nous passerons une partie de l’après-midi à emballer des bonbons et à les attacher aux branches. Ca remplacera avantageusement les boules et en plus, on pourra les manger plus tard !
Vers 18 heures, la fille aînée arrivera avec le bus en provenance de Coihaique. Elle a les bras chargés de provisions pour le réveillon et les jours suivants. La maman a préparé une sorte de ponch à base de bananes malaxées à la main, d’eau, d’un fond de vin et d’une giclée de pisco que nous conservions en prévision d’un grand jour. C’est le cas aujourd’hui !
On passera le reste de la soirée à écouter de « méchantes » cassettes de chacareras tout en avalant goulûment le repas de Noël : morceaux de moutons longuement mijotés, salade de concombre et riz. Les gosses vont dévorer la viande comme de vrais carnassiers sauvages !
A minuit, la radio crachotent les traditionnels 12 coups de cloche. On se congratule, on s’embrasse, on se sent en famille !
Nous installerons plus tard nos matelas à même le sol dans la cuisine-salle à manger-living. Après avoir secoué un peu les lambeaux de carpettes, histoire de ne pas inhaler trop de poussière, nous nous endormirons cette fois comme des bienheureux. Ce réveillon restera, j’en suis sûr, gravé à tout jamais dans notre mémoire.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Je viens de lire plusieurs billets en retard, c'est toujours aussi bien, cette aventure chilienne. J'ai lu le dernier récit avec ta musique en fond, c'est une très bonne idée.
Le réveillon-surprise chez madame Borquez et ses enfants, quelle merveille !
A lundi !

Anonyme a dit…

Bonjour Jean,

Merci pour ton commentaire et n'oublie pas de prendre de bonnes chaussures de marche pour demain!!!

Anonyme a dit…

Quelle belle histoire!!!

Anonyme a dit…

Merci pour votre sympathique message, et à biêntôt pour d'autres nouvelles de Patagonie ou d'ailleurs!

Anonyme a dit…

Salut marie + pablo + bernard

Comment allez vous?
je suis heureux d'avoir de tes nouvelles Madame Marie...j'ai consulter le blog , malheureusement
j'arrive pas a visualiser les photos car le serveur de votre blog et tres long , mais j'ete surpris
de tout vos aventures..........
aujourd' hui ,il fais trés beau ,C'est le printemps c'est formidable , pas trop froid pas trop chaud ,et les oiseaux partout ...
pour moi rien de spécial juste la routine , Ces 2, 3 derniere semaines j'ete en déplacement
a marrakech, j'ai profite de mon temps libre pour visite la ville c’est trés beau
Marrakech attire énormément de touristes et toute l'année
bon.....Je te souhaite une excellente journée ................saludos por PABLO y Bernard
j'étais très heureux de faire votre connaissance..... a+ ................Fouad