01 avril, 2007

Carretera austral (8)

Jeudi 18 décembre 1997
Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne

Mañihuales – Villa Ortega

Environ 50 km de route toujours fort empierrée. Nous nous arrêtons cependant à une quinzaine de kilomètres de la destination initialement prévue. Nous avons les jambes en compote. Il y a eu pas mal de côtes à franchir aujourd’hui et surtout un vent de plus en plus violent. Ce tronçon de Carretera est plutôt désespérant. Le paysage ne révèle qu’un vaste cimetière d’arbres brûlés. L’herbe est rare et desséchée. On a l’impression de se trouver dans un lieu en cours de désertification. Et pour cause. Dans les années 40, dans le but de faire paître leurs troupeaux, les premiers colons ont entamé une campagne de déboisement intensive et radicale en incendiant, sans discernement et sur des milliers d’hectares une forêt, jusque alors impénétrable. Le résultat est toujours visible aujourd’hui : pas un arbre n’a repoussé depuis lors !
En fin d’après-midi, nous essayons de trouver un lieu propice pour établir notre campement, un tant soit peu à l’écart de la route et surtout, à l’abri des rafales de vent. Nous apercevons dans le lointain une estancia dont les propriétaires devraient pouvoir nous indiquer un endroit où planter la tente. L’estancia est précédée d’une pelouse parfaitement entretenue, il y a un petit parc et l’ensemble dégage une impression un peu coloniale avec ses bâtiments en bois peints en blanc. Une terrasse avec son enfilade de fines colonnes achève d’ agrémenter l’ensemble. Un imposant pick-up Chevrolet est garé à proximité. Il devrait donc y avoir quelqu’un dans le bâtiment. La maîtresse des lieux ne tarde effectivement pas à nous ouvrir.
Son humeur à l’air aussi maussade que le paysage aux alentours. Elle ne voit vraiment pas ce qu’elle peut faire pour nous, dit-elle. « Allez plus loin, lâche-elle finalement en nous désignant une prairie broussailleuse bien à l’écart de sa propriété »
Lorsque nous lui demandons s’il est possible de remplir nos gourdes. Elle nous répondra qu’il y a un petit ruisseau pas très loin de la route. « L’ eau y est tout à fait potable, assure-t-elle » !
Nous quittons la propriété un peu dégoûté par tant de dédain et lorgnons vers le dispositif qui arrose, semble-t-il en permanence l’ épais gazon.
Nous nous dirigeons finalement vers la prairie désignée.
Pendant que Marie-Hélène monte la tente, je pars à la recherche du ruisseau ainsi que de bois mort pour le feu. En dégageant une vieille souche, je débusque une famille de rats détalant sans demander son compte. Je repense au patron du bistrot de Villa Amengual qui nous avait raconté comment cette année, six personnes de son village étaient mortes à cause d’un virus apporté par les rats. J’avoue être un peu inquiet.
Aussitôt notre repas terminé, nous ne sommes guère d’humeur à prolonger la soirée au coin du feu et nous nous enfonçons rapidement dans nos sacs de couchage.




Vendredi 19 décembre 1997

Vers 7 heures du matin, nous sommes réveillés par les hennissements d’un cheval et une voix peu amène semble nous exhorter à sortir de la tente. L’ homme à l’air agressif. Visage coupe-rosé et lacéré de cicatrices, le crâne rasé, il est aussi armé d’un fusil de chasse et sa taille est ceinturée d’une impressionnante cartouchière. Du haut de sa monture, il nous demande de qui nous avons obtenu l’autorisation pour nous installer ici « Je suis le surveillant de la propriété, nous hurle-t-il, vous avez intérêt à décamper au plus vite. »
J’essaie tant bien que mal de le raisonner et lui demande un petit délai, le temps de démonter notre campement et d’avaler quelque chose avant de démarrer ». Il maugrée quelque chose d’incompréhensible et finit par s’éloigner au galop dans un nuage de poussière.
Déjeunons sans traîner puis « caparaçonnons » nos montures.
Comme la veille, le paysage reste toujours aussi austère et triste, excepté quelques maigres tentatives de reboisement le long du chemin. Curieusement, l’essence choisie a été…..le sapin. Je doute fort qu’il s’agisse d’une espèce locale !
Arrivés à hauteur de Villa Ortega, un véhicule s’arrête à notre hauteur. Le chauffeur d’ un petit camion propose de nous charger pour un bout de chemin. « Le temps va changer, nous dit-il, vous risquez d’essuyer un grosse tempête dans les prochaines heures ». Marie-Hélène et Pablo prennent place dans l’ habitacle. Je m’installe sur la plate-forme, à l’arrière, pour maintenir fermement les vélos et les bagages afin que rien ne s’égaye dans le décor. Dans l’empressement, nous avons déjà perdu (ou oublié) ce matin notre précieux guide de la région, (la dernière édition du "South American Handbook" chèrement acquise avant notre départ).
Le chauffeur avait décidément raison, moins d’une demi-heure plus tard, de violentes rafales de pluie vont se déverser sur la région. Assis à l’extérieur, je suis littéralement frigorifié et transpercé par l’eau qui commence à ruisseler dans mon dos. A travers la lunette arrière, j’aperçois Pablo et Marie-Hélène bien au chaud devisant tranquillement avec le chauffeur et partageant un bon maté fumant. A ce moment précis, je donnerait cher pour être à leur place.
Le camion nous laissera finalement à une dizaine de kilomètres de Coyhaique. Il paraît que la police est vigilante aux abords de la petite ville de garnison et le chauffeur ne veut pas être pris en « flagrant délit » de transport non conforme, il est en effet interdit de charger des passagers sur plate-forme où j’ai pris place.
Nous arrivons à Coyhaique en début d’après-midi et rencontrons une dame (Madame Schoonbrodt) qui nous propose un petit chalet (cabañas) dans le haut de la ville. Le prix demandé est honnête (6000 pesos la nuit pour nous trois -environ 550 francs belges-), il y trois lits, un coin douche et une petite cuisine, propre et parfaitement opérationnelle . Entre temps, le ciel s’est éclairci et les montagnes encerclant la petite ville sont de nouveau bien visibles. Nous projetons de nous arrêter quelques jours ici, histoire de visiter un peu les alentours et surtout de reprendre un peu des forces avant d’ entamer le dernier grand tronçon vers Cochrane et la Patagonie profonde !

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