16 novembre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (17)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Ouest en Est de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....


Mardi 17 novembre (La Paz/Bolivie)

Capitale la plus élevée du monde (3636 mètres d’altitude) La Paz apparaît telle une ville survoltée et surpeuplée avec son million d’habitants.(population en 1987)
Par sa situation particulière -tout au fond d’une cuvette- la pollution atmosphérique semble aussi avoir bien des difficultés à s’évacuer.
La raison pour laquelle les conquistadors espagnols avaient choisi ce site singulier pour s’installer tenait justement en l’absence quasi totale de vent à cet endroit.
Mais aujourd’hui, les gaz d’échappement -dus à l’intense trafic- combinés à l’altitude rendent particulièrement pénible la visite de cette ville.
La circulation y est de plus anarchique et bruyante, des militaires en arme sont en faction à chaque carrefour et des nuées de cambistes accostent sans vergogne, à même le trottoir, tout qui semble en quête de monnaie locale. Curieuse impression d’ailleurs que de voir circuler impunément et au grand jour ces hordes de « petits banquiers » avec d’épaisses liasses de bolivianos (la monnaie en cours à cette époque) en main, armés de leur précieuse calculette et criant à qui mieux mieux « Se cambian dólares !, se cambian dólares !,… » (On change des dollars !, on change des dollars !,….).
Cette pratique, apparemment tolérée en Bolivie, est d’autant plus étonnante qu’au Pérou voisin, ceux qui s’y adonnent sont sévèrement réprimés.

Etape obligée pour la poursuite de notre traversée sud-américaine, nous ne resterons à La Paz qu’une seule journée. Au cours de celle-ci, nous programmons une visite du marché ainsi qu’une petite excursion en bus jusqu’à un site dénommé « Vallée de la Lune ».

Le marché étonne surtout par le nombre d’échoppes consacrées à la vente d’herbes médicinales et surtout d’objets « magiques ». Parmi ceux-ci : des fœtus de lamas séchés.
Très prisés par les Boliviens, nous raconte une vieille commerçantes édentées, ces porte-bonheur sont généralement enfouis dans les fondations des maisons et assurent à leurs occupants une vie sereine sous la protection des Dieux.

Quant à la fameuse « Vallée de la Lune » -l’excursion du jour-, il s’en sera fallu d’un cheveu pour que jamais nous n’y aboutissions. Par dix fois nous demandons notre chemin mais par dix fois, les renseignements donnés sont différents. Finalement, un chauffeur de bus nous assure qu’il passe par là et qu’il nous indiquera l’arrêt. Comme au bout d’une demi-heure de route, nous sommes inquiets de n’être toujours pas arrivés, nous en avisons le chauffeur. Confus, celui-ci avoue nous avoir complètement oublié. Nous rebroussons chemin à pied jusqu’au fameux site qui, en dépit de formations rocheuses effectivement bizarres, ressemble plus à une carrière abandonnée qu’à un site lunaire. Mais peut être ne sommes nous pas au bon endroit. D’ailleurs, sur les murs de quelques bâtiments industriels bordant la piste, des inscriptions grossièrement badigeonnées ne laissent planer aucun doute là dessus : « ¡Fuera, los gringos ! » (Dehors, les américains –et par extension les étrangers- !)

Nous rentrons donc à La Paz -un peu dépités- avec le premier bus et retrouvons au hasard de nos déambulations un petit groupe de voyageurs avec lequel nous avions fait le trajet depuis Copacabana la veille.
Ils sont quatre, deux garçons (un Autrichien et un Espagnol de Barcelone) accompagné chacun d’une ravissante Bolivienne.

Leonardo -le Barcelonais- travaille pour une agence touristique. Chargé de préparer un itinéraire pour un futur voyage organisé, il doit notamment évaluer les restos, les hôtels et autres lieux de sorties disponibles à La Paz.
Pour ce faire, il a loué une voiture et propose d’ailleurs de nous emmener dans sa quête des lieux susceptibles d’égayer les prochains clients de son agence. Une sorte de « La Paz by Night » qui, pour nous, commencera par un resto en banlieue, plutôt luxueux, mais complètement vide.
Au vu de l’ ambiance, de la déco et de la douce musique de fond, la note doit être salée.
Ne sachant pas trop qui paiera quoi, Marie-Hélène et moi commandons timidement le plat qui semble être le meilleur marché.
Une tache rendue difficile car aucun prix ne figure sur la carte. Visiblement, c’est le genre d’établissement où il semble tout à fait inopportun, voire vulgaire, de parler d’argent.
Au fil du repas nous voyons les bouteilles de vins fins (chiliens) se succéder et nous voyons surtout de plus en plus mal comment nous parviendrons à régler une note qui risque fort de s’annoncer mortelle. Même si nous la partageons en six.
De fait, nos prévisions les plus folles vont être largement dépassées : l’addition s’élève à 200 bolivianos (environ 4000 francs belges). Ici, cela doit correspondre à près de deux mois de salaire d’un ouvrier de base.
Dieu merci, Leonardo se montrera enfin rassurant (et surtout généreux) lorsqu’il annoncera à la tablée que ces agapes seront prises en charge par son employeur. La seule contrepartie qu’il demandera sera de l’accompagner dans ses pérégrinations nocturnes, car il a, dit-il, une sainte horreur de s’amuser seul.
Nous acceptons l’offre de bon gré et poursuivons cette étrange soirée dans un club de jazz plutôt sélect : « Le Mathuis ». Un établissement dont la seule présence en ces contrées rustiques et altiplaniques est totalement incongrue.
A l’entrée, il y a même un portier noir en livrée qui accueille les clients. Il les « trie » d’abord en vérifiant leur identité et leur souhaite ensuite -dans un anglais sans accent- « Passez une bonne soirée Mesdames et Messieurs ».
L’ambiance est assez « classe » : lumières tamisées, bar à cocktails, clientèle d’hommes d’ affaires et de touristes nantis et, accoudées au bar, quelques « bimbos » se dandinent au son de vieux standards de Miles Davis.
Leonardo avise une table près du piano –un quart-queue tchèque de marque Petrov !- J’imagine l’aventure qu’aura dû connaître cet instrument pour parvenir dans ces contrées perdues.

Piscos, vins, bières, eaux-de-vie, commencent à se succéder joyeusement.
C’est alors que Leonardo se souvient qu’au cours d’une conversation précédente, je lui avais fait part de ma passion pour le jazz et en particulier, pour le piano.
« C’est le moment de nous divertir, Bernard, s’exclame le Barcelonais en me tapant sur l’épaule »
- Ne te fais pas prier, joue nous quelque chose !, et joignant le geste à la parole, il fait signe au barman d’interrompre la musique et signale haut et fort à l’assemblée que « Un « maestro » de Belgica, les va a tocar unas canciones de su país, hagan silencio por favor ! » (« Un « maître » de Belgique va vous jouer quelques morceaux de son pays, faites silence, s’il vous plait » ! ». Bien qu’ interloqué par cette invitation un peu incongrue, je n’ai d’autres choix que de m’exécuter.
En fait, des chansons de « mon » pays, je n’en connais….aucune.
Alors, histoire de sauver la face, je me lance dans ce que je joue finalement encore le mieux : du boogie woogie !
Apparemment, l’assemblée a l’air enthousiaste et se montre bon public.
Du moins si j’en juge par la quantité de verres qui, à présent ont été déposés sur le piano en guise de « récompense », tantôt de la part des tablées environnantes, tantôt de la part du patron du club, lui-même.

Vers les deux heures du matin, nous décidons malgré tout de clôturer la séance et reprenons le chemin du centre ville.
Il était temps car Leonardo, n’a plus l’air d’y voir très clair lorsqu’il reprend le volant de sa « Coccinelle » de location. Nous mêmes –ainsi que nos compagnons-, ne sommes guère plus lucides d’ailleurs. C’est fou comme l’altitude décuple les effets de l’alcool.
Lorsque nous arrivons à proximité de la Place d’Armes, ce que nous redoutions confusément finit par arriver : un barrage de carabiniers nous contraint à nous arrêter pour un contrôle en règle.
Tout y passe : les papiers d’identité, les passeports, les documents du véhicule, etc, mais, Dieu merci, pas d’alcootest !
Finalement, un des deux policiers s’exclame « Eh, bien voilà, je vais être obligé de vous infliger une amende de 50 bolivianos.
Leonardo essaie comme il peut de donner le change et tente de ne pas trop bafouiller malgré son imprégnation alcoolique : «
- Mais pour quelle raison ?
- Parce que cette rue est interdite aux véhicules, répond le policier engoncé dans son épais poncho kaki
- Pourtant, aucun signal ne l’indique, rétorque Leonardo, hoquetant !
- En effet, il n’y a pas de signal, mais c’est moi qui vous le dit. Vous me payez les 50 bolivianos, je fermerai les yeux et vous pourrez continuer tranquillement votre route ! »
(La Paz)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je suis toujours cette série avec le même intérêt. J'avais aussi passé une journée à La Paz, où la pollution ne m'a pas frappé cependant. Les banlieues pauvres qui grimpent à l'assaut des montagnes, jusqu'au faubourg d'El Alto, sont particulièrement impressionnantes en effet. On frémit à penser ce qui doit arriver pendant la saison des pluies sur ces versants escarpés.

D'autre part, je trouve que la pub pour la bière patagone est bien sympathique, et que c'est une belle idée que de poster une photo du jour, comme ce beau tronc au milieu des feuilles jaunes de l'automne.