22 septembre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (6)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée longitudinale de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge,vélo et marche...


Mercredi 28 et jeudi 29 octobre (Arequipa/Pérou)

Journée épuisante passée à de multiples tractations dans une demi-douzaine d’agences de bus Nous supposions qu’il serait facile de réserver nos places pour Cuzco, la prochaine étape que nous avions envisagée. Sur la carte, en effet, une route, apparemment directe, unit cette ville à celle de Nazca.
Dans la première agence, un employé nous informe cependant qu’il n’y aura pas de bus avant plusieurs jours, voire plusieurs semaines ! Dans la seconde, nous apprenons qu’un pont a été emporté par les eaux et que la liaison est momentanément interrompue. Une autre officine annonce directement par voie d’affiche qu’elle a suspendu jusqu’à nouvel ordre ses voyages en direction du « Centre du Monde » (Cuzco, en langue quechua, signifie le nombril, allusion à la position centrale de Cuzco lorsque cette cité était la capitale de l’empire Inca).
C’est finalement par un passant que nous apprenons la véritable raison de cette impossibilité d’emprunter la route directe vers Cuzco.
Pour y accéder, il faut en effet traverser une partie de la province d’Ayacucho, le fief de la guérilla maoïste « Sentier Lumineux » dirigée par le mystérieux et insaisissable Abimaël Guzman (petite photo à droite/photo AFP). Le groupe est puissamment armé et violent et depuis plusieurs années, tente de renverser le gouvernement en place. Les attaques qu’il mène sont de plus en plus audacieuses et l’on apprend qu’il y a peu de temps, ils ont même réussi un tir de roquette en direction du parlement à Lima.
Dans les campagnes, les villages et la jungle des contreforts andins, ces guérilleros intégristes adoptent aussi une véritable politique de la terre brûlée et s’attaquent avec une cruauté exceptionnelle à tous ceux qui, de près ou de loin, représentent à leurs yeux les symboles du pouvoir. Qu’ils soit financier, politique, culturel ou intellectuel. C’est ainsi que curés, instituteurs ou maires sont régulièrement assassinés sans autre forme de procès. Il y a quelques jours encore, nous avons lu dans un journal local qu’un bus avait été stoppé par un commando sendériste sous l’unique prétexte qu’il transportait des touristes occidentaux, fatalement inféodés à l’idéologie capitaliste ! Les deux malheureux voyageurs qui s'y trouvaient ont aussitôt été extraits du véhicule puis abattus d’une balle dans la tête.
Décidément, la zone où ces rebelles ont décidé d’établir leur quartier général est bien nommée : Ayacucho signifie en quechua « La ville des morts » ou, selon les traductions « La ville du sang ». Pour atteindre Cuzco, nous serons dés lors contraints à un énorme détour via la ville d’Arequipa et de là, nous remonterons vers le nord-est en train jusqu’à l’ ancienne capitale Inca.
Nous embarquons donc ce soir à bord d’un bus archi-bondé pour un voyage nocturne d’une dizaine d’heures. Comme il n’y a plus de place dans les soutes pour les bagages, nous avons coincé tant bien que mal nos sacs à dos sous nos pieds. Ce qui rendra notre position des plus inconfortables puisque nous avons les genoux qui touchent pratiquement le menton. Comble de malchance, la cebiche (plat de poissons crus marinés dans de la coriandre et du jus de citron) que nous avons mangée juste avant le trajet n’est guère appréciée par notre estomac. Dès le départ nous sommes pris d’épouvantables crampes abdominales qui ne tarderont pas à se transformer en une diarrhée apocalyptique. Notre salut viendra de la grande piété du chauffeur et de ses passagers. Tout au long du trajet, les petites chapelles dressées le long de la route seront autant de prétextes pour s’arrêter et y réciter une prière. Nous mettrons ces haltes providentielles à profit et pendant que les dévots s’en iront déposer leur offrande, nous irons soulager nos viscères. Au risque de se faire mordre par des meutes de chiens littéralement enragés.
Nous arrivons dans la matinée à Arequipa, complètement démolis. Nous nous engouffrons dans la première pension venue pourvue de salle de bain privée.
On s'écroulera sur les lits jusqu’au surlendemain en nous gavant de pastilles de charbon de bois, paraît-il recommandées en cas de problème intestinaux. Bien efficace, mis à part que nos dents sont devenues complètement noires. Une vraie collection de chicots, en apparence. J’ai d’ailleurs bien vu que mon sourire « édenté » avait un peu effrayé l’épicière du coin lorsque je suis allé lui acheter des bouteilles d’eau !






(Arequipa)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

L'apparition, le développement puis la quasi-disparition du Sentier Lumineux a quelque chose de fascinant, de mystérieux, de terrifiant aussi.
S'ils avaient pu gagner la guerre, il est fort possible que le Pérou aurait subi un sort assez semblable à celui du Cambodge sous les Khmers Rouges (je crois d'ailleurs qu'ils revendiquaient cette parenté idéologique, sous la forme du "marxisme-léninisme-maoïsme"). Cette tendance ultra semble encore exister au Népal (la guérilla maoïste), même si elle y est un peu plus "modérée".
Vraiment un OVNI idéologique que ce courant politique.