02 septembre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (1)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.
Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée longitudinale de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions barge,vélo et bien entendu, la marche...


Mercredi 21 octobre. (Bruxelles-Lima)

Il est 19h30.
Depuis le décollage de Zaventem, il y a 3 minutes exactement, je n’ai quitté ma montre des yeux. On dit toujours que c’est les 10 premières minutes les plus délicates lors d’un vol. Les 10 dernières aussi d’ailleurs, à l’ atterrissage. Alors j’attends que ça passe. Marie-Hélène me parle, mais je ne l’entend pas. Je suis crispé aux accoudoirs et j’essaie de faire le vide pendant que l’avion paraguayen qui nous emmène vers Lima prend lourdement de l’altitude. J’ai en tous cas l’impression que ça ne va pas tout seul. J’ai déjà eu un petit doute quand j’ai vu le commandant de bord avec son thermo sous le bras. Un gars rondouillard tout gominé que j’aurais mieux vu comme joueur de bandonéon dans un club à Buenos Aires plutôt qu’aux commandes de Boeing. En plus, et c’est Marie-Hélène qui me le fait remarquer, l’homme a un regard complètement halluciné. J’imagine que ce doit être dû à l’abus de cocaïne ou quelque chose du genre.
Il n’y a pas dire, je ne supporte décidément pas les voyages et encore moins l’avion. Question vol pourtant, on va être servi dans les heures à venir : une escale à Tenerife, une autre à Asunción et enfin le bout du tunnel demain soir à Lima. Si je compte bien, et si tout se passe sans problème, ça fera au total 3 décollages et 3 atterrissages. Soit 6 opérations « délicates » multipliées par les « 10 minutes cruciales », on arrive à une bonne heure d’angoisse assurée. Sans compter les trous d’air. C’est sûr, c’est le premier mais aussi le dernier voyage en avion que je fais. Je n’aurais pas dû promettre à Marie-Hélène que l’accompagnerais pour ce périple un peu dingue. C’est trop tard, mais à l’avenir, je me contenterai d’un petit week-end en Baie de Somme ou à la rigueur, quelque part en Normandie.

Jeudi 22 octobre

Je suis réveillé par les premiers rayons de soleil. Une lumière curieuse à cette altitude. Succession de stries bleutées, mauves, rouges, jaunes et tout en bas, du vert, du vert et encore du vert. Nous survolons le Brésil. Plus exactement les chutes d’Iguaçu. Je ne les vois pas mais c’est l’écran en face de notre siège qui nous l’assure.
J’émerge d’une sorte d’état semi-comateux - sans doute provoqué par les whiskies que j’ai ingurgité pour me calmer- et lis distraitement la brochure distribuée aux passagers. C’est de la pub pour le Paraguay. En exergue du fascicule, quelques photos, qui ne donnent pas vraiment envie de visiter ce pays, et une phrase : « Le Paraguay : pays de la joie de vivre, du soleil et de la sécurité ». Ca tombe bien car nous allons y passer une journée. Une escale technique d’une dizaine d’heures y est prévue!
Dix heures d’attente, ce n’est plus une escale de routine, c’est carrément le gros entretien ! Je l’avais bien senti que ce coucou peinait au démarrage.
Nous atterrissons vers 10h à Asunsión, aéroport General Stroessner.( C’est le nom du dictateur au pouvoir….depuis 1954, un record).
A peine débarqués, les passagers en transit sont priés de prendre place dans un minibus qui doit nous conduire vers un hôtel en banlieue. Nous devrions y être confinés jusqu’à la fin de l’escale.
La circulation est dense, bruyante et anarchique. Il fait chaud et humide. Des militaires sont en faction à chaque carrefour. Après une demi-heure de route, nous aboutissons en vue d’un hôtel de construction récente. Vingt-cinq étages, une piscine, des portiers, un casino. Le tout perdu au milieu d’une plaine morne et marécageuse, en bordure du rio Parana.
Une chambre nous est attribuée au 15e. Nous sommes fourbus. Au bord de l’asphyxie. Nous portons toujours nos anoraks et nos chaussures de marche. On est équipé comme pour une randonnée dans les Fagnes en hiver.

On se déshabille, on s’écroule sur le lit.
J’allume la télé. On passe un vieux western en noir et blanc.
Ca tire dans tous les sens !

Quelques chevauchées plus tard, Marie-Hélène et moi nous retrouvons au bord de la piscine. Les transats, alignés au cordeau sont désespérément vides . A l’exception d’un seul, occupé par une sorte de vieux barbouze ventripotent se faisant masser les pieds par une jeunesse en string.

A l’heure convenue le minibus vient nous reconduire à l’aéroport. Il y règne une certaine agitation et les militaires semblent plus nombreux encore que ce matin. Le président argentin Raúl Alfonsin vient à l’instant d’atterrir sur le tarmac et le vieux Général Stroessner l’attend au pied de la passerelle pour lui donner l’accolade. Haie d’honneur, hymnes nationaux, militaires en costume d’apparat…
Dans un coin de l’aéroport, un Guarani, affublé du costume traditionnel et de quelques plumes dans les cheveux s’est arrêté de vendre ses arcs à flèches de pacotille pour observer la scène.

Il fait nuit lorsque nous touchons le sol péruvien. On arrime la passerelle à la carlingue et chacun descend à même le tarmac dans la plus grande anarchie. La plupart des passagers sont attendus par leurs proches ou des parents. Nous, nous sommes assaillis par des agents de change improvisés et des taximen nerveux. L’un d’eux nous inspire plutôt confiance et nous lui montrons l’adresse d’un hôtel pas trop cher repéré dans le South American Handbook. “ O.K, no hay problema, señor, vamos”. Le chauffeur s’empare de nos bagages et les empile aussitôt à l’arrière de son minibus V.W. tout cabossé et aux vitres brisées. Nous démarrons sans attendre. En chemin, le chauffeur nous fait comprendre que, finalement, il préfère ne pas aller à l’adresse convenue : « Beaucoup trop dangereux ce quartier, fait-il » et de passer le pouce sous sa gorge pour joindre le geste à la parole.
On n’insiste malgré tout. Il finit par accepter. « A une condition, je vous dépose en face de ce foutu hôtel, vous vous rendrez compte par vous même et ensuite j’accepte de vous conduire ailleurs. Mais je n’attendrai pas plus de deux minutes dans ce coupe-gorge ». En chemin, la vision est dantesque. Le terre-plein séparant l’avenue en deux n’est qu’un vaste dépotoir où des immondices brûlent en dégageant d’épaisses et nauséeuses volutes. Dans la lumière des braseros, des ombres courbées semblent trier les déchets pour en extraire quelques infâmes denrées.

Nous arrivons enfin face à l’hôtel. La rue est mal éclairée. Nous tambourinons à la porte cochère de l’établissement d’où, finalement, un gars plutôt mal embouché se décide à sortir. « C’est pourquoi ? Une chambre ? Pas possible tout est complet ! Remontez dans le taxi, Y’ a rien pour vous ici ! ». Une certaine anxiété commence à poindre. De son côté, le taximan, victorieux, jubile. « Alors, je vous l’avais bien dit »
-Maintenant, je vous conduis dans un endroit sûr et, d’ajouter sur un ton paternaliste, n’ayez pas peur, je suis votre ami. Amigo, amigo».
Il n’y a pas d’autre solution que de s’en remettre complètement à cet inconnu. A la grâce de Dieu.
Quelques dédales de ruelles plus tard nous nous arrêtons face à l’hôtel recommandé par notre chauffeur. Une métisse, plutôt âgée et souriante, visiblement de mèche avec le taximan nous ouvre et nous accueille. Le prix est nettement plus élevé qu’escompté mais nous n’avons pas le choix. C’est ici que nous passerons notre première nuit péruvienne.
Au dehors, un clochard ivre s’est appuyé contre le mur et s’est mis à jouer des airs informes à la flûte. Nous endormirons sur ces notes absurdes, sans prendre de repas. Nous avons l’estomac complètement noué.



(Lima)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

"une sorte de vieux barbouze ventripotent se faisant masser les pieds par une jeunesse en string" : on se croit dans un roman d'espionnage !
Belle (?) image en tout cas.

L'arrivée à Lima glace le sang. La photo du tas de déchets dans la banlieue est à la fois splendide et tragique.

Bref, c'est un début fort pour ce reportage de voyage !

Anonyme a dit…

Et sur un mur (sur la photo de la banlieue et des déchets), on lit "ALAN 85". C'est sûrement un slogan pour appeler à voter pour Alan Garcia aux présidentielles de 1985. Il a été élu, a plongé l'économie péruvienne dans la banqueroute, et c'est sous son mandat que le Sentier Lumineux a développé sa politique de terreur.
Et voilà, l'année dernière, Alan Garcia est revenu au pouvoir (peut-être en ayant tiré les leçons de son échec en 1985-90). Je ne suis pas allé au Pérou (en Bolivie, si), mais je m'intéresse toujours à la vie politique de ces pays.

Anonyme a dit…

Je n'avais jamais remarqué cette inscription "Alan 85"!!! (Il s'agit évidemment d'Alan Garcia)
Quel oeil! Tu me fais redécouvrir mes photos!!!!
Amicalement,

Bernard