06 octobre, 2006

Cordillère 2006 -De part et d'autre...-(épisode 3)

Samedi 8 juillet

Comme convenu, nous nous dirigeons vers l’agence Esmeralda à 10h30 pour le départ de l’excursion au Salar. Un voyage auquel prendront part un jeune couple d’Allemands (Sebastien et Sandra) ainsi que 2 jeunes Irlandais sourds-muets (Owen et Sean). Le Land Cruiser arrive à l’heure dite et notre guide, Patricio, embarque les bagages sur le toit du véhicule. S’y trouvent déjà une réserve de 200 litres de carburant ainsi que le matériel nécessaire à la préparation des repas : casseroles, bombonnes de gaz, cuisinette, etc…Dans l’habitacle, à côté du chauffeur, la dame qui s’occupera des repas tout au long du voyage a déjà pris place. Une cholita quelque peu effacée et peu bavarde.
(monticules de sel/salar d'Uyuni)
La 1ère étape de ce voyage nous mène vers un petit village en bordure du Salar. Cette halte à Colchani (le nom du hameau) est un prétexte pour nous faire découvrir, et le cas échéant, acheter, l’artisanat local. Sur les tréteaux s’alignent des cendriers, des chandeliers, des petites boîtes à bijoux et autres colifichets dont la particularité est d’avoir été fabriqués en sel. Cet épisode touristico-commercial accompli, nous rentrons dans le vif du sujet : Le Salar. Une étendue parfaitement plane de quelques 12.000 kilomètres carrés et couverte d’une couche de sel allant de quelques centimètres à plusieurs mètres (8m) d’épaisseur.

La lumière du soleil et sa réflexion sur ce sol immaculé provoquent un aveuglement presque douloureux.
Là-bas, des ouvriers s’emploient à racler le sol cristallin et à constituer des petites pyramides de sel qu’ils embarquent ensuite sur des camions branlants.
Pour se protéger des coups de soleil et des brûlures occasionnées par l’or blanc, certains de ces « mineurs de surface » portent des cagoules ne laissant de visibles que la bouche et les yeux. Pour peu, on les prendrait pour d’inquiétants membres des FARC !
(extraction de sel)
Une autre halte, de courte durée, à lieu cette fois à proximité d’un singulier édifice. Il s’agit d’un hôtel entièrement construit en blocs de sel. Le mobilier est aussi réalisé de la même matière. Ici, il est inutile d’appeler le garçon lorsque la soupe manque de sel, il n’y a qu’à creuser un peu la table !

L’étape suivante permettra de visiter une curieuse formation rocheuse en plein milieu du Salar. Posée comme une île au milieu d’une mer d’écume, l’endroit est dénommé « La Isla del Pescado ». Il n’y a aucun poisson ici, comme l’appellation locale le laisserait supposer, mais c’est la silhouette générale du massif qui aurait donné son nom au site. Petite montagne composée d’un amoncellement de cailloux arrondis, l’endroit est par ailleurs couvert d’énormes cactus de type « candélabre ». Certains d’entre eux atteignent plus de 12 mètres. On nous assure que la croissance de ces cactées est d’environ 1 centimètre par an. A ce rythme, il est donc raisonnable de penser que plusieurs de ces végétaux ont vu défiler les troupes incas. Pour autant qu’elles aient jamais transité par ici.
(isla del pescado)
Nous quittons cette singulière oasis, ne manquant ni de sel ni de piquant, pour accéder en fin d’après-midi au village de San Juan où nous passerons la nuit.
L’infrastructure qui nous accueille est sommaire mais largement suffisante et plutôt sympathique. La chambre à l’étage, donnant sur une mezzanine extérieure est, comme de coutume, non chauffée.
(san juan)
En attendant le repas, conversons avec nos nouveaux compagnons de voyage tout en savourant un bourbon –coca. Une idée des Irlandais qui avaient eu la prévoyance d’acheter avant le départ une petite réserve de cet alcool bien utile sous ces latitudes.
Sean et Owen nous apprennent qu’ils sont en voyage depuis plusieurs semaines déjà et qu’ils ont été amenés à visiter le Venezuela, le Pérou et le Brésil. Ils auraient souhaité voyager en Colombie mais il semble qu’on leur ait vivement déconseillé d’y pénétrer. Les autorités locales étant particulièrement méfiantes à l’égard des ressortissants irlandais : L’Ira n’aurait-elle pas des connexions avec certains groupements terroristes colombiens (notamment les FARC) ?

Pour le souper, notre cuisinière attitrée nous a concocté un repas plutôt bourratif composé de frites, de bananes douces (frites également), de riz ainsi que de pilons de poulet.
Un met auquel nous ferons succéder le reste du bourbon-coca ou, c’est selon, de bourbon-thé. La bouteille –de bourbon- y passera. La nuit sera bonne en dépit d’une invraisemblable froidure.


Dimanche 9 juillet

Nous reprenons le cours de nos activités touristiques de bon matin après un frugal petit-déjeuner (thé, pain, confiture). Cette nouvelle journée nous fera découvrir une série de lagunes où ont élu domicile quelques colonies de flamants roses que l’on pourra observer d’assez près.

L’environnement est à la fois grandiose et inhumain. Ce paysage exclusivement minéral pourrait être la dernière halte avant l’espace, l’univers extraterrestre . Parfois, il me vient à l’esprit que les natifs de l’Altiplano pourraient figurer parmi les meilleurs candidats aux vols interplanétaires de longue durée. Petits et trapus, résistants et peu bavards (ils ne semblent ouvrir la bouche que pour les choses essentielles), rapides en calcul et insensibles aux conditions climatiques extrêmes, ces descendants d’Incas ne seraient-ils pas, à moyen terme, les grands explorateurs du prochain millénaire ? Mais peut-être sont-ils eux mêmes des descendants d’extra-terrestres ?
(coulée de lave figée)
Nous terminerons enfin cette journée par la visite d’un site quelque peu lunaire. Décidément !

Il s’agit d’une vaste plaine de couleur ocre et sable parcourue de roches erratiques. Ces blocs de lave expulsés des volcans avoisinant ont adopté des formes toutes plus insolites les unes que les autres. Comme cet « Arbol de Piedra », une pyramide inversée défiant les lois de la gravité et de la physique.
(el arbol de piedra)
La dernière curiosité de la journée aura pour nom la « Laguna Colorada ». Un vaste plan d’eau d’un rouge très particulier. « Proche du mauve, me dit Marie-Hélène ».
Une coloration due à la présence d'organismes microscopiques de la même couleur.Des organismes dont se nourrissent par ailleurs les flamants peuplant la zone et qui, forcément, adoptent la même teinte.
Nous passons la nuit dans un refuge rustique situé au milieu de nulle part. Cet établissement, nous dit notre guide, est une initiative d’habitants de la région qui ont reçu gratuitement un lopin de terre des autorités afin de développer le tourisme et créer de nouveaux emplois.

Dans la véranda où nous prendrons le repas, nous avons cette fois la chance de profiter de la douce chaleur dispensée par un petit poêle. A l’intérieur s’y consument lentement de grosses touffes de llareta. Une sorte de végétal, compromis entre la mousse et le lichen, séché que l’on utilise en abondance sur ces hauts plateaux à défaut d’arbres.

Ce soir, nous ne nous attarderons guère en bavardages après le souper. Nous regagnons aussitôt notre lit, situé cette fois dans un dortoir où prendront place nos 4 compagnons de voyage. Demain, nous nous remettons en route dès 5h30.

Lundi 10 juillet

Notre guide vient nous éveiller à 5 heures. L’obscurité est encore complète et le générateur fournissant l’électricité, pas encore en marche. De nouveau, le froid est paralysant. On ne traîne pas pour s’habiller. Les bagages sont de nouveau hissés sur le toit et nous embarquons dans le van sans déjeuner. « Plus tard, lorsque nous arriverons aux thermes, nous prévient Patricio !». Le Toyota se lance aussitôt sur la piste et dans la nuit parsemée d’étoiles. Bien que ce soit la pleine-lune, nous n’y voyons rien : le pare-brise et les vitres du véhicule sont couverts de givre. Ce qui n’a pas l’air de gêner outre mesure notre chauffeur. Il parcourt ces chemins improbables depuis 6 ans à raison d’une fois par semaine. Au bout d’une heure de route chaotique, raide et poussiéreuse, nous arrivons en vue d’un vaste cirque d’où s’échappent de puissantes et sulfureuses fumerolles : « les Geysers de Michina ». La frêle lumière bleutée de l’aube fait alors peu à peu apparaître un paysage dantesque.

Nous sortons du véhicule, transis par le froid, mais curieux d’approcher ce phénomène de plus près. Des dizaines de petits cratères ont à cet endroit crevé le sol et laissent échapper des jets d’une bouillie grise et infâme. Des rôts diaboliques et pestilentiels viennent rythmer l’activité nébuleuse. La fumée envahit l’espace et les bronches des visiteurs audacieux. Les substances expulsées, combinées au froid et à l’altitude (4800 mètres) ont l’air de provoquer auprès de chacun une sorte d’étrange euphorie. Chacun semble en état d’apesanteur. On se salue en silence, d’un air complice, les yeux hagards puis on disparaît à jamais dans un tourbillon de vapeurs toxiques et peut-être hallucinogènes.

La montagne alentour, à présent, va s’embraser, c’est certain !

Quelques kilomètres plus loin, notre guide nous emmènera vers les thermes de Challviri. Baignoires naturelles où coule une eau extraordinairement chaude. Nous prenons le risque de nous y baigner malgré une température extérieure toujours largement négative. Cela fait un bien fou ! Sauf lorsque l’on en sort.
En quelques minutes, les essuies et les maillots, gelés, ont pris la forme des cailloux sur lesquels on les avait déposés.

Il est à présent 8h et l’assistante cuisinière nous attend à proximité du van avec un solide petit déjeuner composé de pain et d’œufs frits. Nous voilà requinqués et fin prêts pour poursuivre notre périple altiplanique.

Prochaine étape : la Laguna Verde et le volcan Licancabur, non loin de la frontière chilienne. C’est là que notre route va se séparer de celle de nos amis Irlandais. Ils prendront un bus vers San Pedro de Atacama (Chili) et continueront leur aventure sud-américaine vers le Chili.

De notre côté, nous nous apprêtons à boucler la boucle vers notre point de départ non sans avoir traversé une « Valle de las Rocas » magique ainsi que quelques modestes bourgades en pisé répondant aux noms de Villa Mar ou Villa Alota. Villages dont l’activité principale semble être l’élevage de lamas et la culture de quinoa. Une robuste herbacée, déjà cultivée à l’époque pré-incaïque, dont les graines, riches en protéines, constituent un apport vital dans l’alimentation des populations locales.

Arrivons à Uyuni à la tombée du jour et récupérons une partie de nos bagages à l’agence Esmeralda pour les déposer à nouveau à l’hôtel Avenida. Nous avions pourtant projeté de trouver un hôtel plus convenable dès notre retour. Sans succès.

Pour le souper, cette fois, nous jetons notre dévolu sur un restaurant de la place : l’Arcoiris. Il s’agit d’un établissement presque exclusivement fréquenté par des touristes. Il y fait bon. Sans doute grâce à l’imposant four à gaz destiné à la cuisson des pizzas. Une des spécialités de l’endroit. La musique que l’on y passe n’est pas non plus très « locale », puisque depuis que nous y sommes assis, il y a bientôt une heure, une compilation des Bee Gees passe en boucle.
Aux tables, les touristes partagent leurs bons tuyaux et évoquent leurs souvenirs de voyages en anglais, en français, en allemand ou encore dans cet étrange et typique sabir en vigueur dans les lieux touristiques consistant à mélanger toutes ces langues et d’autres encore, en une seule.
La lumière est tamisée, les sièges sont confortables et, finalement, nous avons l’impression de nous rapprocher d’une certaine civilisation. Parfois, c’est appréciable.
Ce soir, nous commanderons une pizza de taille familiale en buvant quelques bières boliviennes du meilleur tonneau.

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