13 octobre, 2006

Cordillère 2006 -De part et d'autre...- (épisode 7)

Jeudi 20 juillet

Poursuivons notre route vers le sud, en direction de Cafayate, toujours par cette même piste (la fameuse route 40) à la fois infernale –par son état de délabrement général- et grandiose – par l’ ampleur des paysages qu'elle traverse.

(route 40, environs de seclantas)

Chaque vallée, chaque quebrada, chaque plateau offre de nouvelles perspectives et après chaque virage, de nouvelles couleurs, de nouvelles formes insensées et inattendues apparaissent. Le silence devient palpable, l’espace est infini, rien n’entrave la vision. Seules quelques rafales de vent soulevant des nuages de poussières troublent quelque peu cette singulière quiétude.
(seclantas)
(épicerie à seclantas)
Nous faisons une courte étape à Seclantas. Autre village blanc des Calchaquies. Place immense et disproportionnée par rapport à la taille du village et église peinte de couleurs vives. On croirait voir une bonbonnière. En face se trouve l’école communale avec ses jolies arcades et un peu plus loin une ancienne maison coloniale remarquablement reconvertie en auberge de luxe : El Capricho. Sa propriétaire nous invite à en faire le tour. Sans engagement et juste pour le plaisir, précise-t-elle. A l’intérieur du bâtiment, une fraîcheur exquise envahit le visiteur. Les meubles sont simples et rustiques mais d’excellente facture. Il y a aussi une bibliothèque où sont rangés divers objets ayant appartenu au mari de la propriétaire. Entre autre, un gramophone et un authentique casque de viking. La maîtresse des lieux nous fait remarquer que son défunt mari était Norvégien.
A l’extérieur, on peut encore voir un merveilleux patio au centre duquel un bassin avec fontaine dispense un peu de fraîcheur durant l’été.

Nous reprendrons encore la route quelques heures parmi une variété de paysages plus impressionnants les uns que les autres : roches tourmentées, pitons aux formes tarabiscotées, pistes en corniche surplombant des panoramas sans fin.


(alentours d'angastaco)
Décidons de faire une seconde étape à Angastaco. Cette petite entité rurale ne présente pas d’intérêt particulier en soi mais s’inscrit de nouveau dans un environnement exceptionnel composé de diverses quebradas aux formes étranges et aux noms évocateurs : Quebrada de las Flechas, Los Castillos, la Casa de los Loros, la Garganta del Diablo, etc…

Ces formations rocheuses friables, découpées au gré du vent ont toutes un caractère exceptionnel et sont autant de sculptures émouvantes et grandioses que survolent en permanence des nuées de perroquets verts et bleus.

Nous trouvons rapidement, à 100 mètres de la place, une pension bon marché dénommée « El Cardon ». Pour 10 pesos chacun, nous pourrons y passer la nuit.
Ici, aucune formalité n’est nécessaire à l’arrivée des voyageurs. L’arrangement avec la propriétaire est pour ainsi dire tacite. Nous laissons les bagages au pied du lit et partons aussitôt pour une petite flânerie dans les environs déjà baignés d’une lumière crépusculaire.

Non loin d’un rocher aux contours bizarres je stoppe la GOL, hélas, sans prendre garde à la consistance du sol : une sorte de gravier blanc très fin et particulièrement meuble. Impossible de redémarrer. Nous sommes ensablés. Nos efforts pour placer de gros galets sous les roues motrices restent vains. Nous abandonnons au bout d’une demi-heure d’essais infructueux et décidons d’attendre un véhicule salvateur. Un 4x4 à bord duquel une famille de touristes argentins s’arrêtera rapidement. Son pilote, un costaud nourris au « lomo de chorizo » depuis son plus jeune âge nous fera sortir de l’ornière d’un coup d’ épaule, non sans nous avoir demandé au préalable de quel pays nous étions originaires. La Belgique a dû lui convenir.

Rentrons au village, un peu fatigué par cette péripétie et nous dirigeons au hasard vers une sorte de boui-boui répondant au nom de « Rincòn florido ». Il s’agit en fait d’une serre ombragée et couverte de vignes –bien que sans feuille en ce moment de l’année-. Les murs y sont entièrement bardés de vestiges de la vie rurale d’autrefois. On peut y voir dans un invraisemblable pêle-mêle, des étriers et des éperons, de vieux instruments agraires et des lance-pierres, d' anciens cadenas et des clés dépareillés mais aussi des pierres trouvées au hasard de promenades, des lampes à carbure ou des pièges à renards. Bref toute l’histoire d’une région au travers d’un bric à brac insondable, insolite et presque surréaliste. Sur une table repose encore une belle collection de cactus. Enfin, dans le jardin jouxtant cette sorte de patio, le propriétaire des lieux a assemblé une rocaille où sont disséminés sans logique apparente, des statuettes et des colifichets religieux, des condors miniatures, des morceaux de quartz et, de nouveau, différentes espèces de cactus.
Le créateur de cet insolite musée s’appelle Leonardo Gutiernez. Cafetier et restaurateur de fortune, il concocte également un vin liquoreux que nous aurons l’occasion de goûter plus tard. En attendant, nous nous contentons de faire connaissance et surtout de nous rafraîchir après l’épisode de l’ensablement. Nous nous promettons de revenir dans la soirée pour le souper. L’épouse de Leonardo, Aïda, n’aura pas mis longtemps à nous convaincre de ses talents de cuisinière.

(singulière architecture à l'entrée d'angastaco)
Le soir venu, nous reprenons donc le chemin du « Rincòn florido » et acceptons les yeux fermés ce que propose aujourd’hui la maîtresse de maison : une cazuela consistante accompagnée de frites pour Pablo et deux belles pièces de viande –préparée « à la milanaise »- avec salade pour Marie-Hélène et moi.

Le breuvage de circonstance sera quant à lui le vin « patero » -dont les raisins ont été foulés aux pieds- de Leonardo. Un cru original et suave qui n’est pas sans rappeler le Madère. Nous en boirons deux petites bouteilles d’un demi-litre.

Au cours du repas, Leonardo nous confie sa passion pour la musique traditionnelle argentine, les chacareras et autres zambas-cuecas qui font la richesse et la réputation du répertoire local.
(leonardo gutiernez)
Leonardo nous fera d’ailleurs le cadeau d’en interpréter quelques-unes de son étrange voix de contre-alto. Avec sa guitare et le chant des grillons en contrepoint, l’air doux de cette nuit s’emplira d’un enchantement capiteux. Comme cette « Cara de Gitana », chanson que Leonardo s’ingéniera à apprendre patiemment à Marie-Hélène durant une partie de la soirée.

Vendredi 21 juillet

L’étape de ce jour nous fera encore traverser de biens somptueux paysages. Subtiles et interminables variations de vallées largement échancrées, de canyons parsemés de roches tourmentées et de plaines sablonneuses hérissées de cactées plusieurs fois centenaires.

Après une courte étape – le temps de pique-niquer - à Cafayate, une grosse bourgade provinciale réputée pour son vin, nous prenons la direction de Quilmes.
Cette fois, la piste est derrière nous et voici qu’apparaît de nouveau un ruban bitumé impeccable.
(vignobles à cafayate)
La route est bordée de vignobles au milieu desquels s’assoupissent de somptueuses haciendas impeccablement chaulées.

La visite de Quilmes, ou plus exactement de ses ruines, constituera le point fort de la journée. Ici certains qualifient d’ailleurs ce site de « Machu Pichu argentin ».
Il s’agit d’une cité pré-incaïque accrochée aux flancs de la montagne. On peut y observer les contours restaurés d’habitations, d'infrastructures défensives, d’enclos ainsi que de jardins en terrasse. Différentes excavations creusées dans la pierre, jadis remplies d’eau, faisaient office d’ingénieux calendriers agraires. Lorsque certains astres ou étoiles s’y reflétaient, le temps était venu de semer, de récolter ou d’accomplir quelque autre tâche agricole.
(ruines de quilmes)

A la fin de la visite, nous rencontrons 2 Argentines dont une est accompagnée de son bébé. Elles cherchent un moyen de regagner leur camping situé à une vingtaine de kilomètres d’ici, au village d’Amaïcha. Nous acceptons de les y conduire.

Bien que le village ne risque guère de laisser une impression indélébile, nous choisissons, vu l’heure déjà avancée, d’y passer la nuit.

Nous dénichons une petite pension pas trop inconfortable et, dans la même rue, découvrons un resto sympa dont la patronne a épousé un Belge originaire de la région de Comines. Ce dernier travaille toujours en Belgique mais revient tous les six mois retrouver son épouse argentine qui, elle, s’occupe du resto avec sa mère.

Samedi 22 juillet

Quittons Amaicha pour amorcer la dernière ligne droite, vers le nord cette fois, en direction de Salta. Le paysage devient plus vert et peut évoquer par certains aspects le Midi de la France. Exception faites des très hauts sommets que l’on peut encore apercevoir dans le lointain. Faisons une dernière halte à Coronel Moldès. Là, un peu à l’écart du village et des plantations de tabac, un lac artificiel a donné naissance à quelques activités touristiques un peu désuètes telles que des excursions lacustres à bord de barges à fond plat. Aux abords du plan d’eau, des familles viennent passer l’après – midi en faisant crépiter le charbon de bois au son de radios débitant des « twists latinos » tout droit sortis des sixties.
(coronel moldes)
Nous arrivons à Salta peu avant la nuit. J’ai toutefois le temps de rendre le véhicule à l’agence de location (Calle Urquiza) puis retrouve Marie-Hélène et Pablo à la pension « Quara » où nous avions occupé une chambre 5 jours auparavant.
Comme de vieux habitués salteños, nous retrouvons ce soir le « Jack Parrilla ».
Ce grand restaurant populaire de l’avenue Irigoyen où nous avions déjà eu l’occasion de tâter du bœuf local.
Le patron de l’établissement, un vigoureux sexagénaire au sourire ravageur, nous accueille comme le font ces descendants d’Italiens vivant en Argentine. Avec bonhomie, humour et un sens aigu du contact commercial. Il nous propose un genre de lomo de 3 centimètres d’épaisseur couvrant l’entièreté de l’assiette ! La « bête » est cuite à la perfection, tendre et juteuse à souhait. Une viande unique en provenance de la province de Santa Fé nous indique le restaurateur. Le tout sera agrémenté d’un malbec de la région de Cafayate tout à fait gouleyant.

Je viens de me rendre compte, un peu tard, que j’ai gardé en poche la clé de la chambre que nous avions loué la veille à Amaicha. Peut-être faut-il y voir un signe, une sorte d’obligation de retour, un jour ou l’autre, en ces lieux magiques….




Aucun commentaire: